Pourquoi les extraterrestres sont-ils racistes?

Depuis le début du mois de novembre, la plateforme Netflix obtient un considérable succès avec Ancient Apocalypse (À l’aube de notre histoire).

Espèce de successeure spirituelle à Ancient aliens (que la chaine Historia, contre tout bon sens, s’entête à diffuser), la série documentaire avance qu’une mystérieuse civilisation extrêmement avancée aurait dominé le globe pendant la dernière ère glaciaire avant d’être détruite par une inondation apocalyptique. Ses quelques survivant·es se seraient cependant rendu·es auprès de nos ancêtres de la préhistoire pour leur apprendre les « secrets » de la civilisation comme l’agriculture, l’architecture, les arts ou l’astronomie.

Dans un texte publié le 22 novembre dernier, le professeur au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal Julien Riel-Salvatore remarque que ces séries constituent des menaces pour le débat public puisqu’elles « mine[nt] la confiance que peut avoir le grand public dans l’entreprise scientifique » et contribuent à créer un terreau fertile pour les pseudo-sciences et autres fausses nouvelles.

Mais si on gratte un peu, on se rend compte qu’en plus de ces dangereuses attaques contre la rationalité la plus élémentaire, ces théories s’inscrivent aussi dans une logique profondément raciste.

De sombres origines

En 1830, le président des États-Unis Andrew Jackson dépose le tristement célèbre Indian Removal Act qui ordonne la déportation forcée de près de 60 000 Autochtones vers l’ouest du Mississippi. Face aux critiques, il défend la théorie selon laquelle ces populations ne sont ni « innocentes » ni les premières venues puisqu’elles auraient massacré et remplacé une civilisation à la fois blanche et avancée qui peuplait jadis l’Amérique.

Pour les partisans de ce qu’on appelle le mythe des Mountbuilders, il apparait inimaginable que des non-blanc·hes puissent posséder les compétences pour construire la multitude de tumulus anciens qu’on trouve un peu partout aux États-Unis.

Ça vous dit quelque chose?

Des Aryens et des Atlantes

Si le mythe des Mountbuilders tombe rapidement en disgrâce dans le milieu académique, le 20e siècle voit émerger une multitude d’autres théories pseudo-scientifiques devant « expliquer » les accomplissements culturels, techniques et scientifiques des peuples colonisés.

Certain·es font appel à une ancienne civilisation disparue (généralement blanche) ayant régné sur une partie ou la totalité du globe. Les plus fantasques lui donnent pour origine l’Atlantide alors que les cercles racialistes pré-fascistes en font plutôt la représentante de la pureté aryenne.

Plus audacieux, l’archéologue amateur et futur officier de la SS Edmund Kiss combine les deux! En 1928, l’allemand se rend en Bolivie afin de démontrer que les impressionnants monuments de Tiwanaku (probablement érigés vers le 2e siècle) n’étaient pas le fruit de l’ingéniosité locale, mais d’une ancienne civilisation germano-aryenne issue de l’Atlantide. De retour au pays, les travaux de Kiss obtiennent un tel succès auprès de l’élite nazie qu’en 1939, Heinrich Himmler le nomme pour commander une nouvelle expédition.

Le 20e siècle voit émerger une multitude de théories pseudo-scientifiques devant « expliquer » les accomplissements culturels, techniques et scientifiques des peuples colonisés.

Des discussions similaires émergent à la fin des années 1960 du côté de l’État nouvellement indépendant de Rhodésie, au sud de l’Afrique. Ouvertement raciste (voire suprématiste), son gouvernement déclare officiellement que le Grand Zimbabwe, une ancienne cité médiévale érigée entre le 11e et le 15e siècle, n’aurait pas été construit par les ancêtres de la majorité noire. Ces locuteurs bantous (comme par hasard en plein mouvement d’autodétermination) devaient avoir reçu l’aide de Grecs, de Phéniciens, voire de personnages de la Bible comme la Reine de Saba.

Les extraterrestres détestent les Blancs

D’autres auteurs tournent plutôt leur regard vers le ciel. Popularisée à la fin des années 1960 par l’ufologue suisse Erich von Däniken, la théorie des anciens astronautes soutient que les accomplissements des premières grandes civilisations s’expliquent directement ou indirectement par l’intervention d’une race extraterrestre extrêmement avancée.

Si la proposition semble à priori comique, elle perd de sa légèreté lorsqu’on fouille un peu. On remarque en effet que von Däniken et ses disciples se concentrent généralement sur l’Égypte, l’Afrique ou les Amériques précolombiennes et partent du postulat selon lequel les populations locales étaient trop reculées pour mener à bien des projets comme les pyramides de Gizeh ou le calendrier maya.

À ces populations souvent victimes de l’impérialisme colonial, on retire leur agentivité et le droit de posséder une Histoire tout en effaçant leur culture.

Pourtant, jamais on ne doute de l’origine totalement humaine du Parthénon d’Athènes, des aqueducs romains ou des cathédrales du Moyen Âge.

Mais pourquoi les extraterrestres se refusent-ils à offrir leur aide aux Européens blancs? Seraient-ils racistes?

En tous cas, comme le montre sur son blogue l’archéologue Keith Fitzpatrick-Matthews, Von Däniken est bien raciste, lui. Dans son livre de 1977 Signes des Dieux?,il affirme que les humains auraient été créés en laboratoire, pour ensuite se demander : « la race noire était-elle un échec et les extraterrestres ont-ils modifié leur code génétique […] puis programmé une race blanche ou jaune? »  (je traduis). Plus loin, alors qu’il soutient ne pas être « racialiste », il ajoute qu’une « race élue » pourrait bien exister.

Les ruines du colonialisme

Qu’elles fassent appel à des Atlantes, des extraterrestres ou des Phéniciens égarés, toutes ces théories s’entendent sur le fait que certains peuples ne possèdent pas les compétences intellectuelles ou techniques pour égaliser les accomplissements européens. À ces populations souvent victimes de l’impérialisme colonial, on retire leur agentivité et le droit de posséder une Histoire tout en effaçant leur culture.

Ces séries proclament que l’Autre, qu’il soit éloigné géographiquement, temporellement ou culturellement, est inférieur.

Comme au 19e siècle, ces pseudo-archéologues occidentaux – sans formation, peu cultivé·es par principe et méconnaissant (ou méprisant) tout de la civilisation à laquelle iels s’intéressent – endommagent régulièrement les sites archéologiques.

Plus encore, iels contribuent à légitimer une représentation coloniale du monde dans laquelle des « civilisations avancées » offrent gracieusement les lumières du progrès à des populations « reculées ». En somme, pour paraphraser le politologue sud-africain Everisto Benyera, représenter la colonisation comme un don de la civilisation demeure une façon privilégiée de défendre le colonialisme.

Aimer ces séries ne fait pas de vous un·e raciste. Mais il importe de garder à l’esprit qu’en définitive, elles proclament que l’Autre, qu’il soit éloigné géographiquement, temporellement ou culturellement, est inférieur.

Une chose est certaine, les ruines du colonialisme sont bien des constructions humaines.