Groupe Sélection : le modèle des résidences privées pour ainés frappe un mur

CHRONIQUE | Les problèmes financiers du Groupe Sélection, plombé de dettes, montrent combien il est dangereux de confier le logement des personnes vieillissantes à des grandes entreprises privées.

Les problèmes financiers du Groupe Sélection, plombé de dettes, montrent combien il est dangereux de confier le logement des personnes vieillissantes à des grandes entreprises privées.

Le Groupe Sélection, qui possède 4,3 milliards $ en actifs, 14 000 unités d’habitation, 3000 employé·es, 48 résidences privées pour aîné·es (RPA) et 7 tours de logements locatifs classiques, vient de se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers.

Le fondateur et chef de la direction, le flamboyant Réal Bouclin – qui se déplace en jet privé – semble affirmer que la procédure n’est qu’un simple accroc qui se résorbera rapidement et permettra au Groupe Sélection d’investir de plus belle. L’an dernier, le Groupe Sélection a même débuté un partenariat avec le gargantuesque fonds d’investissement immobilier Blackstone pour élargir son marché en Amérique du Nord.

Le Groupe Sélection est-il « victime » des taux d’intérêt, de son ambition ou d’une mauvaise gestion? Quelles implications cette nouvelle a-t-elle pour le vieillissement au Québec? J’ai posé quelques questions à Anne Plourde, chercheuse à l’IRIS et autrice du très solide rapport Les résidences pour aîné·e·s au Québec : portrait d’une industrie milliardaire.

Problème structurel ou erreur ponctuelle?

En parlant avec la chercheuse, je voulais d’abord savoir s’il s’agit là d’une tendance de fond ou d’un évènement isolé.

D’emblée, on évoque le problème général de l’opacité de ces entreprises qui, bien que privées, ne jouent pas moins un rôle central dans la prestation de soins aux personnes vieillissantes et dans l’offre résidentielle de plusieurs régions. « Un des gros problèmes avec des ressources privées comme ça, par rapport à d’autres pays comme le Royaume-Uni où les rapports des entreprises privées sont rendus publics, c’est qu’on a des géants qui hébergent des milliers de personnes, lourdement subventionnés par des fonds publics, mais sans transparence avec leurs finances », répond Anne Plourde.

Curieusement, les modèles d’affaires qui structurent ces entreprises ont de plus en plus de similarités avec le venture capitalism (capitalisme de risque) et la financiarisation de l’économie. « Ce sont des stratégies financières risquées, des taux de croissance rapides, basés sur un endettement important. Quand arrive une augmentation des taux d’intérêt, ça peut mettre à risque ces très grands groupes. »

« On a des géants qui hébergent des milliers de personnes, lourdement subventionnés par des fonds publics, mais sans transparence avec leurs finances. »

Anne Plourde

« Si un groupe comme ça fait faillite, décide de vendre et de changer la vocation de ses immeubles, ce sont 14 000 personnes affectées par ça », rajoute la chercheuse. En achetant des places de soins de longue durée en RPA – puisque le nombre de lits en CHSLD et en résidences intermédiaires (RI) ne répond pas à la demande – et en transférant des millions de dollars à cette industrie, le gouvernement se rend complètement dépendant de cette dernière. Et elle agit finalement selon sa propre logique, soit la maximisation des profits pour ses actionnaires et ses hauts cadres.

D’ailleurs, deux entreprises contrôlées par les enfants de Réal Bouclin se sont fait verser 2,5 millions $ par l’entreprise paternelle, juste avant que celle-ci ne se place sous la protection de la loi.

Une opportunité?

Je n’irai pas par quatre chemins : le fait même que les besoins de soins et d’hébergement des personnes vieillissantes puissent être ainsi marchandisés – sous promesse trompeuse d’efficacité accrue par rapport au secteur public – dépasse l’entendement.

Comme le mentionne Anne Plourde, qu’arrivera-t-il si un éventuel acheteur du Groupe Sélection voulait faire le coup du Mont-Carmel, c’est-à-dire vider les logements pour les remettre sur le marché en tant qu’appartements ordinaires? Le gouvernement serait-il alors obligé d’acquérir l’entreprise pour conserver ses places sous-traitées?

Toutes ces questions, pour l’instant sans réponses, remettent quand même vivement en question le fait de baser en grande partie le modèle de l’hébergement et de l’habitat pour personnes vieillissantes dans la province sur un oligopole d’entreprises privées assoiffées d’expansion. Cette situation devrait représenter une douche froide pour le gouvernement, qui a tout intérêt à réagir rapidement. Parions qu’il ne fera rien, hormis transférer des millions supplémentaires à l’entreprise pour l’aider à passer à travers la crise de l’inflation.

Le fait même que les besoins de soins et d’hébergement des personnes vieillissantes puissent être ainsi marchandisés dépasse l’entendement.

Le train de vie de Réal Bouclin, oligarque du vieillissement qui n’hésite pas à piger dans les liquidités de son entreprise pour financer ses frasques décadentes, est une honte collective.

Il est urgent que nous trouvions les moyens de collectiviser les entreprises gérant les RPA au Québec, avec des modèles n’étant pas axés sur la recherche du profit, mais bien sur la stabilité et la qualité des environnements. Sinon, la bulle risque de nous éclater dans la figure, avec des conséquences désastreuses.  

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