Il faut qu’on parle des places en garderie

Trouvez-vous qu’on parle suffisamment des places en garderie ces temps-ci? À ma grande déception, cet enjeu est, jusqu’à présent, l’un des plus grands absents de la campagne électorale qui bat son plein.

Notez que ça me déçoit, mais ça ne me surprend plus de voir sans cesse les partis politiques balayer sous le tapis les domaines reliés à l’éducation, aux soins, au care.

Pourtant, sur La Place 0-5, la plateforme Web qui sert de guichet d’accès pour les milieux de garde, plus de 50 000 parents sont en attente d’une place. Afin de sonder comment se vit la situation pour les parents et dans les milieux de garde, je suis allée à la rencontre de deux mères de familles d’enfants en bas âge, ainsi que d’une éducatrice dans un Centre de la petite enfance (CPE). Je les remercie de leurs témoignages.

Silence radio

Première surprise : dans la Boussole électorale de Radio-Canada, outil qui permet d’évaluer son positionnement dans le paysage politique, le manque de places en garderie ne figure pas parmi les 30 enjeux sociaux qui sont mis de l’avant.

Andréa*, éducatrice en CPE, déplore cette absence : « Avec mon conjoint, nous avons consulté la Boussole électorale, et aucune question ne portait sur les places en garderies, ni même sur la pénurie de personnel enseignant dans les écoles. Ce sont des enjeux très importants pour moi dans ces élections-ci, et je ne sais pas où me situer présentement, car personne n’en parle. »

Le pénible processus

Dans les faits, les démarches pour obtenir une place dans un milieu de garde sont laborieuses et doivent débuter dès la grossesse. Malgré tout, la procédure peut durer plusieurs années et exige plus d’un tour de passe-passe, comme le confie Julie*, dont le congé de maternité arrive à échéance : « Je me suis inscrite au guichet quand j’étais enceinte d’environ deux mois, et j’ai aussi appelé des garderies en milieu familial, sans succès. Ce qui est envisagé en attendant, c’est que les grands-parents s’occupent de mon enfant quelques jours par semaine durant lesquels j’aurai des horaires atypiques pour [condenser] toutes mes heures [de travail]. »

Par ailleurs, même si les places sont attribuées en priorité aux frères et sœurs des enfants qui ont déjà leur garderie, le processus n’est pas toujours économique ni sans écueil, comme en témoigne Gabrielle*, une autre mère de famille avec qui j’ai discuté : « Pour ma part, je suis chanceuse, j’ai des places pour mes enfants. Mais les trois sont dans deux établissements différents, puis pour avoir une place pour l’une, j’ai dû payer cinq mois dans le vide. C’est-à-dire dire payer à partir de septembre alors que mon enfant commençait la garderie seulement à la mi-janvier. »

On l’entend parfois à la blague, mais c’est à se demander si les familles ne devront pas bientôt s’inscrire sur une liste d’attente avant même la conception du poupon à naître!

Sacrifier les carrières des femmes… encore

L’iniquité de la charge mentale dans un couple, c’est-à-dire l’ensemble de responsabilités de planification qui reposent sur l’un ou l’autre partenaire et qui sont généralement plus nombreuses pour les femmes, est dénoncée avec de plus en plus de véhémence. Mais il faut aussi se conscientiser au sujet de sa proche cousine : la charge maternelle. La charge maternelle se manifeste par exemple par cette attente que ta mère sache précisément où dans la maison est rangé (perdu?) le moindre objet, allant de ton certificat de naissance jusqu’au lacet d’espadrille gauche d’un soulier que tu n’as pas vu depuis 2004.

C’est aussi au nom de la charge maternelle que, lorsqu’un enfant tombe malade, c’est maman qui risque de prendre congé ou de faire du télétravail.

Le manque de places en garderie fait reposer sur les mères de famille une charge particulièrement pernicieuse, causée par un manque d’options. Devant l’impossibilité de confier leur(s) enfant(s) à des personnes de confiance, des familles devront sacrifier les heures de travail de l’un des parents – et, dans les familles hétéroparentales, ce parent est plus souvent qu’autrement la mère. L’écart salarial entre les hommes et les femmes contribue à favoriser le travail du père, souvent plus payant.

Au sein des familles monoparentales, les effets conjugués de la charge parentale et de la rareté des places en garderie sont encore plus dévastateurs, mais mènent néanmoins au même constat : ce sont les femmes qui paient le prix de ce manque de ressource.

Ce sont elles qui doivent mettre leur carrière sur pause. Qui ne peuvent pas retourner sur les bancs d’école ni terminer leurs études… ou qui se demandent si la seule solution qui s’offre à elles n’est pas de retomber enceinte plus tôt que prévu pour bénéficier d’un autre congé de maternité, le temps d’obtenir une place en garderie pour le premier!

Quand on laisse à l’abandon le domaine de l’éducation et de la petite enfance, ce sont les aspirations et la qualité de vie des femmes, que l’on sacrifie. Inversement, on en exige souvent énormément de la part des travailleuses des milieux de garde, au nom de leur vocation.

L’effet papillon

Malheureusement, lorsqu’un enjeu comme celui des places en garderie semble concerner principalement les femmes, il semble qu’on ait le loisir de ne pas en faire une priorité d’État. Or, la pénurie des places en garderie a des répercussions sur plusieurs autres aspects de la vie et de la société.

Platement, une femme qui ne travaille pas voit diminuer son pouvoir d’achat et elle paie moins d’impôts. Cela va de soi. C’est pour ça qu’il est crucial de se rappeler que chaque dollar investi dans les milieux de garde rapporte au moins 1,50 $ à l’État.

De plus, quand les mères ne travaillent pas, leurs postes sont vacants. Cela va aussi de soi. Dans un contexte aussi criant de pénurie d’employé·es et de difficultés économiques, avons-nous réellement les moyens de nous priver d’une si importante proportion de travailleuses?

Les fausses solutions

Quant aux propositions de convertir des milieux privés en CPE, on ne ferait que changer le problème de place, puisqu’il faut également composer avec une pénurie d’éducatrices formées.

La maternelle 4 ans, envisagée comme une solution fourre-tout par le premier ministre François Legault, ne règlera pas tout. D’abord parce que c’est trop peu, trop tard, ensuite parce que ce n’est pas idéal pour toutes les familles : « Ce n’est pas vrai que tous les enfants de 4 ans sont prêts à aller dans un contexte scolaire et, inversement, ce ne sont pas toutes les enseignantes qui sont formées à la petite enfance », précise Andréa. « En plus de ça, les ratios scolaires font que les groupes sont très volumineux. Un groupe de 20 enfants de quatre ans, c’est beaucoup! »

Une réelle revalorisation sociale de la profession d’éducatrice est de mise, et ça commence par la manière dont nos gouvernements positionnent les enjeux entourant la petite enfance dans l’échelle des priorités. Tant que les partis ne feront pas une place centrale à cette problématique dans leur plateforme électorale et n’écouteront pas la réelle détresse causée par la pénurie des places en garderie, leur attitude restera décevante pour l’écrasante proportion de familles et d’employé·es des milieux de garde qui vivent au quotidien les conséquences de ce désaveu.

Un meilleur système

Mes trois interlocutrices partagent une opinion similaire : elles ont l’impression que le gouvernement ne se soucie pas réellement du problème, trouvent déplorable que le système n’entre toujours en mode « réaction » que lorsque la situation est à son plus critique. Les femmes et les employé·es des milieux de gardes sentent qu’on les laisse tomber.

Néanmoins, Andréa tenait à lancer un message de solidarité aux familles.

« Je veux que les parents sachent qu’on est derrière eux. Les éducatrices et tout le personnel dans les milieux de garde : les directrices, le personnel de soutien, les responsables en alimentation, les techniciennes en éducation spécialisée, on est derrière eux. »

« Quand on leur dit qu’il n’y a pas de place, c’est vraiment à contrecœur. On trouve qu’elles et ils méritent mieux, et on aimerait pouvoir offrir des services de qualité à tous les parents qui en ont besoin. »

Il est minuit moins une, et il serait grand temps que les partis politiques se retroussent les manches, qu’ils travaillent de concert avec les milieux de garde et avec les parents pour trouver des solutions rapides et, surtout, durables.

Pour plus d’information sur les places en garderie et sur les enjeux concernant les milieux de garde, la plateforme de l’organisme Ma place au travail collige un grand nombre de données et de témoignages.

* Afin de préserver l’anonymat des femmes interrogées dans leur milieu de travail ainsi que l’anonymat de leurs enfants, il s’agit de noms fictifs.