Renversement de Roe v. Wade : une résistance qui s’essouffle?

À Seattle, le faible taux de participation aux manifestations pour défendre le droit à l’avortement inquiète certaines militantes.

Chaque jeudi, depuis près d’un mois, des milliers de femmes à travers les États-Unis quittent le travail et l’école pour manifester pour le maintien de leur droit à l’avortement. Or, dans la ville largement progressiste de Seattle, les organisatrices de ce mouvement s’inquiètent face à une mobilisation qui bat de l’aile.

Elles étaient une centaine, le 26 mai dernier à Seattle, à prendre la rue en arborant des pancartes et des vêtements verts. Il s’agissait du quatrième walkout en un mois organisé par Rise Up 4 Abortion Rights, un groupe de défense du droit à l’avortement, pour s’opposer au renversement de Roe v. Wade.

Cet arrêt historique de la Cour suprême des États-Unis garantit l’accès à l’avortement au niveau national depuis 1973, mais on apprenait récemment, grâce à une fuite de documents, que le plus haut tribunal du pays menaçait de casser ce jugement décisif, laissant aux États la possibilité d’interdire l’interruption de grossesse.

Les manifestantes quittent le campus de l’Université de Washington pour se rendre à la manifestation principale devant le Seattle Central College. | Photo : Fannie Emmanuelle Arcand

Une vague verte

« Notre message, c’est qu’on refuse que la Cour suprême nous retire les droits fondamentaux à notre propre autonomie corporelle », déclare Molly, une organisatrice de la manifestation, pendant qu’une vingtaine d’étudiant·es s’amassent devant elle sur le Red Square de l’Université de Washington, avant le départ de la manifestation.

Dans treize villes à travers les États-Unis, depuis le début du mois de mai, des manifestantes descendent dans la rue chaque jeudi, à midi, pour s’opposer au potentiel renversement de Roe v. Wade. « On organise des manifestations chaque semaine, et le samedi après la fuite, des milliers de personnes ont marché avec nous », raconte Molly. 

Zoe, 18 ans étudiante en études environnementales à l’Université de Washington. Sur son bras : « I want a lawyer », au cas où elle se fasse arrêter. | Photo : Fannie Emmanuelle Arcand

Le droit à l’avortement étant protégé dans l’État de Washington, il demeurera en place peu importe la décision de la Cour suprême, mais les manifestantes citent de nombreuses raisons à leur présence. « J’ai beaucoup de membres de ma famille qui habitent des États républicains ayant mis en place des lois gâchettes [qui s’appliqueraient sur-le-champ si Roe v. Wade était renversé], et qui seront affectés », témoigne Rose, professeure de biochimie à l’Université de Washington.

Pour Olivia, une étudiante de 21 ans, manifester est une question de solidarité. « Nous sommes un pays, non? » questionne-t-elle. « Le fait qu’on soit dans des États séparés ne veut pas dire qu’on ne doit pas protéger tout le monde », ajoute-t-elle.

« Ça nous inquiète, que les gens demandent pourquoi les gens de [l’État de] Washington manifestent, parce que ça ne s’applique pas à eux », ajoute Molly.

« Avec le chemin qu’on prend en ce moment, qui sait ce qui pourrait arriver? », ajoute l’organisatrice.

Une résistance qui chancelle

En retrait de la manifestation, Megan, une autre organisatrice du walkout, s’inquiète. « Au fil des jours, de moins en moins de personnes viennent », glisse-t-elle. « Les gens se disent “oh, je suis venu manifester une fois, c’est suffisant” », ajoute l’étudiante de 19 ans.

Même son de cloche chez Margo Heights, l’organisatrice de Rise Up 4 Abortion Rights à Seattle. « Après la fuite de documents, on a mené une marche d’à peu près 3000 personnes à Seattle […]. Depuis, c’est de plus en plus petit », observe la militante.

« On ne sera pas plus avancées en fermant les yeux, en laissant le défaitisme nous avoir ou en nous faisant croire que ça ne sera pas si mal que ça », déplore-t-elle.

Margo Heights juge « illusoire » l’idée de composer avec un monde post Roe v. Wade. « Ce n’est pas une solution, de faire voyager les femmes d’un État à l’autre, de croire qu’il y aura des États démocrates qui vont indéfiniment leur offrir l’avortement », déplore la militante. Elle craint que ce renversement ne soit que le début d’une série de décisions qui limiteront les droits des femmes et des personnes LGBTQ+, entre autres. « Ça fait des décennies qu’on sous-estime jusqu’où [le mouvement anti-avortement] est prêt à aller. On peut arrêter de faire cette erreur », déclare la militante.

Une décision qui dépasse les frontières

Si le jugement de la Cour suprême est bel et bien entériné en juin, l’État de Washington disposera toujours de très fortes mesures de protection du droit à l’avortement. Les cliniques d’avortement washingtoniennes se préparent plutôt à un influx de patientes venant d’autres États pour recevoir des soins. D’après le média régional Crosscut, l’État de Washington prévoit une augmentation de 385 % de ces patientes, qui pour la plupart partiraient des États voisins de l’Idaho, du Montana et de l’Oregon. Les États comme Washington où l’avortement restera légal dévouent aujourd’hui leurs efforts à se préparer pour l’arrivée de ces patientes que certains appellent des « abortion refugees », ou réfugiées de l’avortement.

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