Les récents soulèvements concernant les codes vestimentaires genrés dans les écoles secondaires mettent en lumière un conflit des mentalités et sont symptomatiques d’une génération qui veut contribuer à renverser les doubles standards sexistes.
La connotation sociale des codes vestimentaires
Lorsque l’on interdit aux jeunes filles d’avoir les épaules dénudées, qu’on les oblige à porter des soutiens-gorge ou qu’on mesure leurs jupes, le message renferme une double portée qui s’inscrit dans une dynamique binaire des genres. D’abord, on annonce aux jeunes filles que leur rôle social a changé avec leur puberté : leur corps sera désormais objet des regards, et c’est à elles qu’incomberait la responsabilité de le cacher. Mais d’autre part – et cette idée est plus rarement soulevée dans les médias –, on fait comprendre par ricochet que le désir des garçons serait impossible à endiguer, que les jeunes hommes seraient en proie à des pulsions indomptables dont le seul remède serait d’empêcher leur regard de rencontrer une clavicule féminine.
Plusieurs écoles ont beau prétendre appliquer les règles sur les « shorts trop courts » aussi strictement aux filles qu’aux garçons en bermudas, elles semblent oublier une notion fondamentale. Un genou de garçon et un genou de fille n’ont toujours pas la même connotation sociale. Les arguments des personnes qui se portent à la défense des codes vestimentaires tendent à associer les vêtements féminins à un désir de séduction.
C’est accorder bien peu de crédit aux adolescentes dans le développement de leur personnalité, de leurs passions et de leur voix.
Les codes vestimentaires dans les écoles secondaires effraient les jeunes par leur application, avec raison : il s’agit de leur première expérimentation d’une longue lignée de systèmes législatifs régissant démesurément les corps féminins. Ils et elles voient bien que notre pays voisin est encore à se battre pour préserver l’accès à l’avortement, où les armes à feu sont moins contrôlées que les utérus. C’est à cette complexe gamme d’enjeux que les élèves répondent.
Les ados qui se sont mobilisé·es dans les dernières semaines, que ce soit par des manifestations ou par des prises de parole dans les médias, annoncent les couleurs d’une génération qui devrait nous donner espoir.
Redéfinir le bon goût
Chaque année, dès que les premiers 20ºC réchauffent le Québec, on peut assister à la floraison des lilas, au retour des insectes, des oiseaux migrateurs… et des hommes torse nu se baladant fièrement sur la place publique. Combien d’articles s’attaquent à l’infâme bretelle spaghetti, alors qu’on passe toujours sous silence cet acte de nudité masculine estivale? Que des individus s’identifiant au sexe masculin aient si bien intégré que leur corps n’a pas le statut d’objet, arborant leur mamelon non ostentatoire, cela tient d’une forme de violence envers les adolescentes, dont une simple épaule ou une lanière de peau devient le prétexte pour une punition dégradante.
Les jeunes de 2022 ont bien remarqué ces paradoxes et ils ne veulent plus de ces relents rétrogrades d’une définition de la bienséance et du bon goût qui appartient au siècle dernier.
Plusieurs adultes craindront que, sans codes vestimentaires, les ados – soumis à une envie de plaire prétendument irrépréssible – se présentent à l’école dans des tenues systématiquement indécentes. Ils blâmeront les réseaux sociaux pour ce débat qu’ils considèrent appartenir à ce qu’ils appellent « l’hypersexualisation des jeunes ». Mais ces personnes savent-elles qu’Instagram et TikTok sont aussi présentement le lieu de prises de paroles engagées et de virulentes dénonciations des inégalités sociales? Que tous les jours, de nouveaux reels et des stories créent des conversations entre des milliers de personnes et sont à la source de réelles transformations qui se retranscrivent dans le monde concret?
Il est grand temps de reconnaître la pertinence de la prise de position de cette jeunesse, qui souhaite voir s’incarner dans la vie courante les idéaux inclusifs et intersectionnels auxquels elle est déjà exposée sur le Web.
Légitimer le désir de changement
Comment, dès lors, faire évoluer les codes vestimentaires en assurant un certain accompagnement auprès des jeunes? En collaborant avec les ados.
Ils et elles grandissent avec des séries télévisées comme Sex Education et Euphoria, qui célèbrent la diversité et s’élèvent contre les doubles standards. Leurs idoles musicales affichent fièrement leurs courbes et chantent à propos de leur liberté sexuelle. Les jeunes veulent aussi se vêtir de manière moins binaire, se promener sur le spectre vestimentaire.
Bref, les ados veulent participer à l’abrogation de réglementations désuètes qui transcrivent un certain mépris du féminin et qui marginalisent les personnes queer et non-binaires.
Il existe des exemples très encourageants d’écoles ayant travaillé avec les élèves et avec des spécialistes en santé sexuelle pour une réforme des codes vestimentaires, notamment dans une école secondaire de la région de Québec où les réflexions sur une réglementation vestimentaire non genrée ont été à la source d’une expérience pédagogique positive.
Encourager les jeunes dans une prise de parole engagée et les accompagner dans leurs réflexions sur le corps et la séduction, cela fait partie des responsabilités des générations qui les précèdent. On a légué aux jeunes une société déficitaire en éducation sexuelle, le moins que l’on puisse faire est de les écouter et de légitimer leurs désirs de changement. Ils et elles n’en deviendront que des citoyens et citoyennes plus libres et raisonné·es.