Monica traverse des territoires semi-arides pendant plusieurs heures chaque jour pour rapporter du bois au marché | Romeo Mocafico
Reportage

Le bois, or brun des populations réfugiées d’Ouganda

Dans les camps, le bois est une ressource vitale pour les centaines de milliers de réfugié·es installé·es dans la région. Sa récolte est aussi la principale cause de déforestation du pays.

L’arrivée massive de réfugié·es en Ouganda exerce depuis quelques années une forte pression sur les forêts du pays. Les centaines de milliers de personnes installées dans la région du Nil occidental depuis le début de la crise du Sud-Soudan voisin peinent à trouver du bois, et les trafics et rivalités communautaires s’y sont multipliés. Pour contrer cette crise du bois, les opérations de reforestation s’intensifient.

Il fait 30°C ce matin dans le camp de réfugié·es de Rhino, dans le nord-ouest de l’Ouganda, petit pays enclavé d’Afrique de l’est.

Monica Sadiha enfile ses sandales pour se rendre à son lieu de travail du jour. Cette réfugiée sud-soudanaise a fui en 2017 la crise civile et alimentaire qui sévit dans son pays d’origine, et demeure désormais dans l’un des nombreux camps ougandais, qui rassemblent plus d’un million de personnes. Elle vit grâce à la revente de bois qu’elle récupère sur les terrains les plus proches de la parcelle qu’on lui a attribuée à son arrivée. 

« Aujourd’hui, je vais devoir marcher 12 kilomètres pour y aller, raconte-t-elle. Je pourrai vendre mon paquet à mon retour au village pour 500 shilling ougandais (0,2 $). Grâce à ça, je peux m’acheter des habits et payer l’école de ma fille. »

Monica Sadiha

Comme de nombreuses autres femmes, Monica fera ce trajet une dizaine de fois cette semaine.

Ressource vitale

Dans les camps, le bois est une ressource vitale pour les centaines de milliers de réfugié·es installé·es dans la région. La population, en très grande majorité sud-soudanaise, l’emploie quotidiennement pour effectuer des travaux de construction, cuire la nourriture et se chauffer. Sa récolte est la principale cause de déforestation du pays, d’après l’Autorité forestière nationale de l’Ouganda (NFA), qui estime que la couverture arborée a diminué de 60% au cours des cinq dernières années.

Vue aérienne du camp d’Imvepi et de sa couverture arborée.
Vue aérienne du camp d’Imvepi et de sa couverture arborée.
Les rations de nourriture fournies par les ONG, essentiellement composées de haricots et de maïs, requièrent une quantité importante de bois pour bouillir l’eau servant à la cuisson.

Grace Tomalo ramasse également du bois depuis son arrivée il y a cinq ans : « Il faut aller de plus en plus loin pour en trouver, explique-t-elle. Cela devient si compliqué que l’on doit parfois offrir aux propriétaires [des terrains de récolte] une partie de la nourriture que l’on reçoit pour obtenir le droit de ramasser. »

Pourtant, d’après Innocent Amadile, le chef des lotissements Ariwa du camp de Rhino, la récolte de bois dans la région est gratuite, et les populations réfugiées obtiennent quasi automatiquement le droit de ramassage nécessaire à la pratique. « On offre une parcelle de terre à tous les ménages à leur arrivée où ils peuvent ramasser et planter autant qu’ils le souhaitent. »

Grace Tomalo prépare un paquet de bois pour le revendre au marché.
D’après la NFA, 90% de l’énergie des ménages provient du bois de chauffage et du charbon de bois.

Pour ce référent officiel, la situation est aujourd’hui devenue critique, et ce malgré les recommandations des autorités. En effet, un·e réfugié·e consomme en moyenne 20 arbres par an en Ouganda, selon une estimation de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et le gouvernement local recommande que l’on plante 5 nouveaux arbres pour chaque coupe. « Nous avons une pénurie de bois, et ce même si la police vérifie que seules les personnes autorisées travaillent dans le secteur, explique M. Amadile. Quand on considère le climat de la région, notre environnement, on ne peut pas juste couper un arbre comme ça. »

Selon les chiffres de la NFA, l’Ouganda affiche l’un des taux de déforestation et de dégradation des forêts les plus élevés du continent.

En 1990, la couverture forestière était estimée à 24% de la superficie totale des terres. Ce pourcentage a chuté à 12,4% en 2015 et se situe autour des 9 % ces dernières années. En conséquence, plus de 8 personnes sur 10 interrogées en 2019 par une équipe de chercheurs mandatés par l’organisme World Agroforestry ont dit percevoir une dégradation de leur environnement. 

Tensions entre réfugié·es et communautés d’accueil

Pour Patrick, qui reconnaît à demi-mot ne pas avoir obtenu l’autorisation pour récolter autour des camps, la situation créée des rivalités entre les réfugié·es et les populations d’accueil : « Il y a des tensions pour le ramassage de bois, confie cet Ougandais venu de la ville d’Arua, située à deux heures de route. Parfois, les réfugiés viennent aussi sur nos terres et volent notre bois. »

Une situation qui fait écho à un rapport émis en juin 2019, dans lequel la Banque Mondiale et les Nations Unies alertaient déjà sur ce risque dans la région : « La concurrence pour les ressources disponibles pourrait devenir une source de conflits entre les réfugiés et les communautés d’accueil. »

Contrairement aux réfugié·es voisins, qui rapportent le bois à bout de bras dans leurs lotissements pour le revendre entre 200 et 500 shillings (0,07 et 0,2 $), Patrick récolte une fois par semaine à l’aide d’un camion. « Tu ne peux pas prendre du bois n’importe où, mais tu peux toujours trouver un moyen de payer l’accès à un terrain, si tu le veux », confie-t-il. Il se rend ensuite en ville, où il passe la cargaison à des grossistes qui se chargent de la revente au détail. 

Patrick et son associé chargent le camion pour prendre la route direction Arua.
Contrairement aux réfugié·es, les ramasseurs venus d’Arua peuvent s’offrir de l’équipement et de l’essence.
Dans le commerce de Santya, revendeuse à Arua, le paquet de bois récolté autour du camp de Rhino est vendu 2 000 shillings (0,7 $), soit quatre fois plus cher que dans les camps.

Pour lutter contre la déforestation qui sévit dans la région, les autorités ont mis en place un programme de reboisement en collaboration avec des ONG et des producteurs locaux. Le directeur du développement des plantations de la NFA, Stuart Maniraguha, a notamment fait la promotion de l’agroforesterie – la culture d’arbres et de cultures ensemble sur la même terre – et annoncé l’objectif d’une dizaine de millions d’arbres plantés dans les années à venir.

C’est grâce à ces nouvelles mesures, décidées par différents décrets à partir de 2013, que Alisaba Aunice, fondatrice de la pépinière Ewadri Agroforestry Farm, située en bordure des camps, a pu reboiser une partie des terres du camp de Rhino. « Lorsque je me suis lancée dans l’agroforesterie, j’ai dû passer 150 entretiens avant de décrocher un contrat, se remémore-t-elle. C’était en 2017. » 

« Les premiers réfugiés qui sont arrivés ont tout récolté, explique-t-elle, en faisant référence à la première vague migratoire venue du Sud-Soudan en 2014. Les seconds étaient fauchés, car il n’y avait plus rien. C’est à ce moment que les associations ont intensifié leurs opérations. On a planté des Acacias, des Gmelinas, qui sont des arbres à croissance rapide, pour avoir du bois en deux ou trois mois. La solution est ensuite de ne récolter que les branches, car elles peuvent repousser en quelques jours. Pour les fruits, on fait pousser des mangues et des avocats. »

Pour la pépiniériste, le manque de communication auprès des populations est en partie responsable de la déforestation.

« Les communautés locales tout comme les réfugiés ne savaient pas que leurs activités posaient problème. Quand j’ai démarré, j’ai demandé aux chefs des camps de m’y rendre pour faire de la prévention. Les gens ont ensuite compris les gestes, c’était juste un manque d’information. C’est à nous, professionnels, de transmettre le savoir »

Grâce au soutien de l’UNHCR, Alisaba Aunice fournit désormais les réfugié·es en graines et semis à hauteur de 70% de ses ventes.
Grâce au soutien de l’UNHCR, Alisaba Aunice fournit désormais les réfugié·es en graines et semis à hauteur de 70% de ses ventes.

Depuis son arrivée au camp d’Impevi, Lily Leyoba plante des arbres grâce aux moyens fournis par le Centre international pour la recherche en agroforesterie (ICRAF), un organisme qui collabore depuis 2018 avec les populations réfugiées. « À mon sens, les propriétaires terriens avaient bien trop coupé leurs terrains, estime Lily. D’une part pour permettre l’établissement des parcelles d’accueil, mais aussi car ils avaient besoin d’argent, explique la sud-soudanaise. La situation tend à changer depuis peu car les populations ont compris l’importance de planter pour remplacer. »

Un point de vue que partage John Osidi, le directeur de terrain d’un centre agroforestier d’ICRAF au camp de Rhino : « Les habitants des camps sont très intéressés par les plantations car on les forme puis on leur fournit les semis, dit-il. Ça leur permet de gérer leur terrain et de gagner de l’argent. La reforestation a un fort impact économique dans ces communautés. »

Les réfugié·es du camp d’Imvepi préparent des semis dès décembre pour les plantations d’avril.
Les réfugié·es du camp d’Imvepi préparent des semis dès décembre pour les plantations d’avril.
Les semis en préparation dans la pépinière d’ICRAF.
Les semis en préparation dans la pépinière d’ICRAF.
Le sud-soudanais Ogama Kazymero pose aux pieds des plants qu’il a mis en terre cinq mois plus tôt dans la parcelle 18 de la zone 3 du camp d’Imvepi.
Le sud-soudanais Ogama Kazymero pose aux pieds des plants qu’il a mis en terre cinq mois plus tôt dans la parcelle 18 de la zone 3 du camp d’Imvepi.

Financé par des fonds privés et des fondations, comme la Banque africaine de développement, l’ICRAF réalise régulièrement des enquêtes parmi les communautés pour identifier les lieux à reboiser. « On se concentre sur les zones très dégradées ou sur celles sans arbres, ajoute M. Osidi. Chaque bouture coûte en moyenne 0,75 $ US à produire, il faut ensuite ajouter les salaires et les charges. On plante chaque année lors de la saison humide, qui s’étale de fin mars à mai, mais avec les aléas des changements climatiques, on s’adapte comme on peut. Parfois, ça a aussi des conséquences sur la survie des arbres. »

Emmanuel vend des paquets de bois aux abords des camps, proche de la forêt de Suru. Comme les autres revendeurs, son commerce est affecté par les changements climatiques, la crise de la COVID-19 et les différents confinements qui ont eu raison d’une partie de son chiffre d’affaires.
Emmanuel vend des paquets de bois aux abords des camps, proche de la forêt de Suru. Comme les autres revendeurs, son commerce est affecté par les changements climatiques, la crise de la COVID-19 et les différents confinements qui ont eu raison d’une partie de son chiffre d’affaires.

À l’instar d’autres entreprises présentes dans la région, l’ICRAF augmente chaque année son rendement. Avec 118 000 arbres plantés en 2020 et 127 000 en 2021, l’objectif est d’atteindre 200 000 plantations cette année. 

La NFA, quant à elle, a pour objectif que 24 % du territoire ougandais soit recouvert d’arbres d’ici 2040. L’organisme a bon espoir que ces futures parcelles boisées rendent la vie meilleure aux populations réfugiées.


Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international. 

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