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Les artistes auront-ils enfin droit à de meilleures protections au travail?

Le gouvernement Legault tarde à déposer un projet de loi très attendu pour renforcer les droits des artistes.

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Demandée depuis des années, la réforme des lois protégeant les travailleur·euses de la culture se fait encore attendre, malgré les engagements du gouvernement Legault. Pendant ce temps, les artistes n’ont toujours pas droit aux mêmes protections de base que les travailleur·euses d’autres secteurs. Leur pouvoir de négociation collective est limité et leurs conditions sont loin d’être toujours garanties, que ce soit en matière de salaires ou de santé et de sécurité.

Le gouvernement Legault s’était engagé à mieux protéger les travailleur·euses du milieu culturel avant la fin de son mandat. Mais les révisions attendues aux lois sur le statut de l’artiste n’ont toujours pas été présentées à l’Assemblée nationale, alors que les élections approchent.

Les regroupements d’artistes s’impatientent. La ministre de la Culture et des Communications Nathalie Roy doit déposer son projet de loi rapidement, pour que cet enjeu ne passe pas encore à la trappe, a rappelé mercredi une coalition de neuf associations représentant 26 000 artistes de toutes les disciplines.

« Ça serait un désastre pour beaucoup de gens dans le milieu culturel », lance en entrevue Annick Charette, présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN). « Ça retarderait d’au minimum un an » des changements importants pour le quotidien de milliers d’artistes québécois·es, insiste-t-elle. « On est un peu désespérés. »

Les trois quarts des Québécois·es croient aussi que le gouvernement Legault doit tenir parole et agir pour mieux protéger les travailleur·euses de la culture, selon un sondage commandé par les associations du milieu.

« Nous sommes dans une course contre la montre », signale Annick Charette. « Il faut que ça soit déposé d’ici la dernière semaine d’avril au plus, plus, plus tard. Sinon, on n’a pas espoir » que la réforme puisse être discutée et adoptée avant les élections, expose-t-elle.

La représentante de la FNCC-CSN dit avoir reçu de « bons signaux » de la part du ministère de la Culture et des Communications. Malgré tout, elle craint que le temps manque pour l’étude approfondie du projet de loi, d’autant plus que le calendrier des parlementaires concerné·es est déjà très chargé. Les travaux parlementaires prendront fin dès la mi-juin.

Le processus pour mettre à jour les droits des travailleur·euses culturel·les du Québec est engagé depuis longtemps. Des consultations ont eu lieu en 2020 et 2021, et les associations d’artistes sont toujours en contact avec le gouvernement pour poursuivre le travail. « On talonne le gouvernement », indique Annick Charette.

La réforme des lois sur le statut de l’artiste est réclamée depuis plus de dix ans par le milieu culturel. Adoptées à la fin des années 1980, ces lois n’ont pas été revues en profondeur au cours des quatre dernières décennies. Dans les années 2000, la ministre libérale Christine St-Pierre avait laissé croire qu’elle pourrait entreprendre une réforme, mais elle n’avait finalement amené que des ajustements ciblés.

Peu de protections au travail pour les artistes

Les travailleur·euses culturel·les ne sont pas protégé·es comme les autres par les lois qui encadrent habituellement le monde du travail. Les lois sur le statut de l’artiste leur garantissent certains droits, mais elles comportent plusieurs trous et elles excluent carrément certaines catégories de créateur·trices.

Ainsi, même si les regroupements comme l’Union des artistes (UDA) peuvent négocier des salaires et des conditions de travail minimales avec des associations de producteurs, rien ne garantit aux créateur·trices que ces conditions seront appliquées au moment de décrocher un contrat. En effet, les employeurs ne sont pas obligés d’adhérer à ces ententes ni de les respecter, même si la majorité le font.

Plus encore, les auteur·trices, de leur côté, n’ont tout simplement pas le droit de négocier des ententes collectives avec les éditeurs et se retrouvent à négocier leurs contrats individuellement. Quant aux concepteur·trices des arts de la scène (scénographes, éclairagistes, costumier·ères, etc.), elles et ils ne sont pas du tout inclus·es dans les lois sur le statut de l’artiste.

Dans tous les cas, pour gagner leur vie et pour avoir la chance de créer, bien des artistes doivent accepter de travailler pour des salaires minimes et dans de dures conditions, déplore Annick Charette.

« Il faut quasiment que tu fasses des concessions jusqu’à ce que mort s’ensuive, juste parce que tu veux exister comme artiste. »

Les regroupements du milieu culturel demandent des garanties pour mettre fin à ces exceptions. « Ce qu’on veut, c’est que tous les artistes qui travaillent puissent toujours exiger les conditions minimales » établies par le milieu, résume Annick Charette. « Si tu passes un contrat avec un artiste, ça doit être en respectant ces conditions-là. »

Les producteurs peuvent recevoir des subventions gouvernementales même s’ils ne se plient pas à des ententes collectives avec les associations d’artistes.

« La culture est sous-financée, ça c’est clair, mais il y a quand même pas mal d’argent qui se promène. Ce qui est dommage, c’est que cet argent-là ne redescend pas jusqu’à ceux qui portent la culture, les artistes qui font le travail », analyse Annick Charette. « Il y a des intermédiaires qui se payent pas mal plus grassement que ceux qui sont à la base. »

Notons que la majorité des artistes gagnent moins que le seuil du faible revenu soit moins de 25 000 $ annuellement.

Les regroupements de créateur·trices demandent que le financement public pour les employeurs soit conditionnel au respect des ententes sur les conditions de travail.

Par ailleurs, les travailleur·euses de la culture n’ont pas automatiquement droit à toutes les protections en matière de santé et de sécurité. Elles et ils ne sont pas non plus protégé·es par les lois sur le harcèlement psychologique et sexuel.

« Les artistes doivent négocier des clauses de santé et sécurité à la pièce dans chaque entente qu’ils font avec les donneurs d’ouvrage », expose Annick Charette. « Ce n’est pas juste. Il ne devrait pas y avoir des classes différentes de travailleurs quand ça concerne la santé et la sécurité », insiste-t-elle.

« Les artistes travaillent comme tout le monde. »

« On a l’impression que le milieu culturel, c’est glamour. Mais la réalité des artistes, c’est autre chose », conclut Annick Charette.


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