
Les Atikamekw d’Opitciwan reprennent le contrôle sur la protection de la jeunesse
Cette avancée s’inscrit dans une démarche d’autodétermination pour les nations autochtones partout au pays.
La communauté atikamekw d’Opitciwan est désormais pleinement autonome en matière de protection de l’enfance.
La Loi de la protection sociale atikamekw d’Opitciwan (LPSAO) est entrée en vigueur lundi, après avoir été adoptée en novembre dernier. Elle permet à Opitciwan de prendre elle-même en charge tous les enfants de la communauté qui en ont besoin, autant sur la réserve qu’au-dehors. Les dossiers déjà ouverts au ministère de la Santé et des Services sociaux seront rapatriés.
En assurant elle-même la protection de ses enfants, Opitciwan pourra leur offrir des services et des soins plus conformes à leur réalité sociale, culturelle et spirituelle, comme le soulignait Nadia Petiquay, directrice de la protection sociale, lors de la conférence de presse annonçant l’adoption de la loi, en novembre dernier.
La LPSAO mise d’abord sur la prévention : elle « permettra d’intervenir et de mettre des choses en place avant que la situation ne se détériore », expliquait encore Nadia Petiquay.
Le système de protection de l’enfance d’Opitciwan accorde aussi une grande place à la famille élargie, au milieu ou encore aux aîné·es de la communauté. Tous et toutes auront leur mot à dire et seront appelé·es à apporter leur soutien aux familles en difficulté.
L’un des principaux objectifs de la LPSAO est d’assurer que les enfants qui quittent leur famille demeurent dans la communauté, en étant pris en charge par leur famille élargie ou l’une des nombreuses familles d’accueil d’Opitciwan. La communauté est située à près de 300 km du centre urbain le plus proche.
Dans les cas où les familles contesteraient l’intervention ou les décisions des services sociaux, la nouvelle loi permettra d’éviter la judiciarisation des dossiers, en privilégiant plutôt la médiation et l’entente volontaire, grâce à un comité constitué de sages de la communauté et d’un arbitre.
« C’est l’occasion pour nous de remédier aux systèmes actuels de protection de l’enfance qui sont trop souvent axés sur le retrait des enfants de leur foyer et de leur communauté, et séparés de leur environnement culturel. »
Derek Montour, de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL)
Un nouveau pas vers l’autodétermination
Aux yeux des intervenants atikamekw et d’autres Premières Nations, la nouvelle indépendance d’Opitciwan pour la protection de ses enfants constitue une importante victoire, en vue d’une autonomie toujours plus grande pour les Autochtones.
« Cela représentait un énorme défi, au cœur des démarches d’autodétermination des Premières Nations au Québec », affirme Jean-Claude Mequish, chef d’Opitciwan.
C’est « le reflet de l’évolution constante et des multiples pas franchis vers notre autodétermination en tant que Premiers Peuples », estime aussi Lance Haymond, chef intérimaire de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL).
Un mouvement rejoint par d’autres communautés
Une avancée comme la LPSAO repose sur la loi fédérale C-92. En vertu de celle-ci, depuis le début de 2020, les communautés autochtones qui le souhaitent peuvent finalement reprendre le contrôle de leurs services de protection de la jeunesse.
Opitciwan est la quatrième communauté autochtone au Canada à se prévaloir de la loi C-92, et la première au Québec. Dans la province, une trentaine d’autres communautés ont entamé des démarches ou annoncé leur intention de reprendre le contrôle de la protection de l’enfance, selon l’APNQL.
« Nous sommes persuadés que la démarche d’Opitciwan saura motiver et inspirer d’autres communautés », estime Derek Montour.
Par ailleurs, d’autres communautés atikamekw administrent elles-mêmes la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec, suite à une entente signée en 2018 entre le Conseil de la Nation Atikamekw et le gouvernement provincial.
Le gouvernement Legault conteste toutefois en cour la loi C-92, affirmant qu’elle empiète sur ses compétences. La réforme en cours de la Loi sur la protection de la jeunesse prévoit certains ajustements pour les Autochtones, mais ceux-ci sont jugés insuffisants par l’APNQL. L’organisation dénonce le fait que le gouvernement n’y reconnaît pas une véritable autodétermination aux Premières Nations en matière de protection de la jeunesse.