Alors que certaines œuvres de Jean-Michel Basquiat seront exposées au Musée des Beaux-arts de Montréal l’an prochain, je discutais avec mon ami de la pertinence sociale, encore aujourd’hui, de l’œuvre de Basquiat.,
En 1983, à la suite de la bastonnade qui a mené à la mort d’une de ses connaissances, Michael Stewart, Basquiat peignait Defacement (Défiguration) directement sur le mur de l’atelier de Keith Haring.
Au centre du tableau figure une silhouette noire vers laquelle les policiers tendent les bras, policiers qui sont représentés avec des crocs et une chair rose, rappelant celle des cochons. Ils tiennent des matraques et ils frappent avec violence la silhouette inerte qui n’a ni bras pour se défendre, ni pieds pour s’échapper. Comme un spectre sur lequel s’abat une violence déchaînée, cette silhouette apparaît immobile dans l’espace. Basquiat expose ainsi la dynamique raciale existant entre les forces étatiques et policières et les personnes noires. Cette œuvre met en exergue le pouvoir disproportionné des policiers sur les corps noirs, dont on nie l’humanité, corps sans pouvoir, corps incapable de faire un contrepoids à cette violence de l’État.
Ce tableau, d’un autre temps, d’un autre lieu, s’est imposé à moi en lisant l’article portant sur l’agression vécue par M. Maurice Verjin, alors qu’il avait simplement demandé au policier de mettre son masque, conformément aux exigences que nous impose la vie en société en temps de pandémie. M.Verjin mentionne que « c’est à ce moment-là qu’il (le policier) a pété les plombs. Il m’a pris par la tête et l’a cognée trois fois contre le volant. Mes lunettes sont parties en éclats.»
Après les demandes de justice sociale et de changement au sein des forces de l’ordre à la suite de la mort de Georges Floyd, des questions s’imposent. Comment expliquer des comportements d’une telle violence? Qu’est-ce que cela a changé à la vie des Noirs.es que la ville de Montréal et le SPVM aient reconnu le racisme systémique?
Je me le demande et je suis certaine que M. Verjin se le demande aussi !
Alors que dans certaines cultures, le respect des aînés est un devoir. En lisant l’article relatant les sévices subis par cet homme de 72 ans, je me suis demandé qu’elle fût la source de la violence et de la rage qui se sont emparées des policiers au moment où ils l’ont frappé. Alors que la société québécoise se préoccupe du traitement subi par les personnes âgées au sein des CHSLD. Comme le disait George Orwell dans La Ferme des animaux: « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres. »
Dans son livre, White Rage, The Unspoken Truth of Our Racial Divide, Carol Anderson prend acte des inégalités raciales qui se manifestent au sein des forces de l’ordre, ainsi que dans les secteurs du logement et de l’emploi, et ce, malgré les mouvements qui ont reconnu les droits de l’homme, les conventions internationales, les chartes des droits de la personne. On doit donc s’interroger sur ces changements sociaux et leurs conséquences, tel que le backlash qui prend différentes formes.
Selon Mme Anderson, certains membres de la majorité portent une rage parfois invisible et souvent vengeresse. Cette forme sournoise de violence se fraie un chemin dans les structures étatiques telles que les tribunaux, les législatures et les bureaucraties gouvernementales. Cette rage peut se manifester dans le cadre de la brutalité policière, mais elle fait aussi des ravages de manière subtile, presque imperceptible, dans les systèmes et au sein des structures. Cette rage se déchaine en réaction à l’avancement des Noir.es : les changements des systèmes et des organismes ainsi que l’exercice du pouvoir par les Noir.es peuvent galvaniser une telle rage. En soi, ce n’est pas la présence des Noir.es qui dérange, mais plutôt celle des Noir.es ambitieux, volontaires et qui aspirent à une distribution équitable et égalitaire des diverses ressources sociales. Leur présence dans certains lieux où leur présence n’est pas attendue.
Pour ceux qui sont victimes de la violence étatique, il est déjà trop tard. Le mal est fait. La douleur s’est déjà inscrite dans les corps et les traumatismes dans les âmes.
En écoutant la musique de Miles Davis, L’ascenseur pour l’échafaud, je me suis rappelée: alors qu’il fumait une cigarette lors de l’entracte d’un concert dont il était la tête d’affiche, lui aussi avait été victime de violence policière. Cet incident l’a marqué au fer rouge. Je me souviens aussi d’une entrevue qu’il a donnée à la baronne Pannonica de Koenigswarter dans les années 1960, alors qu’il était déjà riche et célèbre. Elle lui avait demandé : si on lui donnait la possibilité de faire trois vœux qui seraient immédiatement exaucés quels seraient-ils? Sa réponse simple et péremptoire : être blanc, être blanc, être blanc.
Devant cette violence gratuite, je me suis demandé si cette réponse n’était pas la seule viable!
Tamara Thermitus, avocate émérite, a négocié les termes de la Commission vérité et réconciliation du Canada.