Pourquoi ne pas abolir le Bureau des enquêtes indépendantes?

Et pourquoi un militant qui s’est battu pour mettre fin aux enquêtes de la police sur la police arrive-t-il avec une idée pareille?

Il paraît que la CAQ veut abolir ou fusionner des organismes publics pour sauver du fric.

J’ai une idée pour aider la présidente du Conseil du Trésor, France-Élaine « Cruella » Duranceau, à réduire la taille de l’État québécois : abolir le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).

En 2024-2025, les dépenses réelles du BEI s’élevaient à 10,6 millions $. C’est donc dire que son abolition permettrait d’économiser plus de dix millions de beaux dollars. N’est-ce pas merveilleux?

Si je me suis battu, avec tant d’autres au début des années 2010, pour mettre fin aux enquêtes de la police sur la police, ce n’était certainement pas pour qu’on soit pogné avec le BEI que nous avons actuellement.

Commençons par le nom de l’organisme. « Enquêtes indépendantes »? Vous voulez rire de moi?

Les services de police des Villes de Montréal (SPVM) et de Québec (SPVQ), en plus de la Sûreté du Québec (SQ), participent eux-mêmes aux enquêtes du BEI!

Une semaine, l’un de ces trois corps policiers fournit au BEI des « services de soutien » (comme des reconstitutionnistes ou des enquêteurs de scènes de crime), et la semaine suivante, le BEI enquête sur ce même corps policier.

Le conflit d’intérêts subtil comme un coup de matraque que le BEI était censé faire disparaître s’est simplement donné un nouveau nom, qui s’avère être un mensonge doublé d’une insulte à l’intelligence.

Un BEI sous domination policière

Parlons maintenant du mémoire de maîtrise en criminologie de Joanie Beauregard-Caplette, publié en 2023, mais passé complètement sous le radar des médias mainstream. On y apprend qu’il règne une « culture policière dominante » au sein du BEI, qui s’explique par la présence de nombreux ex-flics parmi ses rangs.

Ainsi, « les policiers retraités peuvent avoir tendance à justifier, voire défendre les actions policières » enquêtées par le BEI. Des actions comme « interpeller un individu ou dégainer leur arme paraissent “normales” ou “évidentes” pour les policiers retraités du BEI ».

« Les policiers ont leurs lunettes de police et on va dire “bien j’ai déjà vécu ça et c’est de même que ça se fait” », démontrant ainsi un biais pro-police. L’un d’eux expliquera « qu’il a dû travailler “plusieurs mois, sinon quelques années” pour enfin “enlever mon chapeau de policier et développer mon chapeau d’enquêteur du BEI” ».

Mais pour un autre enquêteur qui n’a jamais été flic, « il y a encore un bout de chemin à faire » pour en finir avec le « minding de police » au BEI.

Le conflit d’intérêts subtil comme un coup de matraque que le BEI étai censé faire disparaître s’est simplement donné un nouveau nom qui s’avère être un mensonge doublé d’une insulte à l’intelligence.

Lorsqu’un enquêteur civil va oser « remettre en cause la légitimité de l’action policière », il sera « perçu comme “anti-police” par les policiers retraités du BEI », lesquels seront tellement « froissés » qu’ils le soupçonneront d’être juste « là pour “pogner les policiers” » et « planter les policiers qui ont bien agi ».

Le mémoire révèle aussi que « des tensions entre groupes de policiers retraités d’appartenance différente peuvent survenir, comme on le voit actuellement entre les policiers retraités du SPVM et ceux de la SQ ». Un enquêteur du BEI explique que « dans les années suivant la naissance du BEI, “c’était le SPVM qui runnait le show, puis maintenant c’est la Sûreté [du Québec]” ». Ainsi, « tous les postes stratégiques sont occupés par la Sûreté du Québec, qui “essaient de transférer leur culture ici, mais ça vient en conflit avec les enquêteurs du SPVM” ».

Les ex-flics importent donc leurs propres chicanes à l’intérieur du BEI.

« Osti de civils »

« L’emprise de la culture policière » au BEI fait aussi en sorte que les ex-flics vont être « moins empathiques aux conséquences vécues par le sujet [i.e. la victime] ou sa famille ». L’un d’eux admettra : « on se détache un peu ».

Autre conséquence : les enquêteurs civils – aussi appelés « ex-civils » dans le mémoire – vivent un « sentiment d’exclusion » compte tenu que les ex-flics « forment des “cliques” difficilement intégrables ». Citation d’un enquêteur civil : « je vais toujours être un genre de “outsider ex-civil” ».

« C’est nous contre eux », dira un autre. Une situation qui « peut créer des tensions » au BEI.

« Les policiers avaient un peu plus de pouvoir de parole, droit d’opinion pour dire comment on va faire les choses », tandis que les enquêteurs civils n’étaient pas « pas pris au sérieux ». Ce qui donne un climat de travail « carrément malsain », où d’ex-flics traitent leurs propres collègues « d’osti de civils », lit-on dans le mémoire.

Comment ne pas conclure que le BEI est une calamité, un échec de la société civile?

L’un de ces « osti de civils » témoigne qu’il lui arrivait même de pleurer à son retour du travail. « On avait le sentiment d’être moins que rien. On nous le faisait sentir que “les civils, ils ne connaissent pas la job” », explique-t-il. « Cette difficulté́ d’acceptation et de considération » des enquêteurs civils qui existe « encore aujourd’hui » a même entrainé des démissions à « au moins deux reprises au BEI ».

« L’attribution des dossiers » au BEI est elle-même « perçue comme inégale », les ex-flics héritant des « dossiers d’importance » qui ont une « haute sensibilité médiatique ». Des enquêteurs civils ont aussi été exclus de certaines tâches, comme les interrogatoires et les enquêtes de scène. « Tu dis qu’on n’est pas assez connaissant, et en fait tu ne nous laisses pas apprendre », déplore l’un d’eux.

« La lenteur de l’accès aux formations » dispensée par l’École nationale de police du Québec (ENPQ) est aussi mise en cause. La réticence de l’ENPQ à reconnaitre les ex-civils comme policiers, malgré un décret de loi qui les nomme comme tel, pose problème, puisque la formation dispensée par cette institution est un passage obligé pour exercer les différentes fonctions d’enquêteur au BEI.

Le message est clair : les civils ne sont pas les bienvenus.

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Comment ne pas conclure que le BEI est une calamité, un échec de la société civile?

Croyez-moi, j’aimerai bien vouloir me convaincre qu’il y a encore moyen de changer le BEI pour le mieux.

Mais quand on découvre comment ça fonctionne à l’interne, je me demande pourquoi le BEI mériterait de continuer à exister.

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