C’est avec un solide « salut, pourriture! » que j’ai accueilli, mardi dernier, l’annonce du trépas de Dick Cheney ancien secrétaire à la Défense sous Bush père puis vice-président sous Bush fils – après avoir été PDG de la multinationale pétrolière Halliburton.
Le même « salut, pourriture! » servi à l’ancien journaliste et ministre libéral Claude Ryan à sa mort en 2004 par l’immensément regretté cinéaste Pierre Falardeau, qui avait fait tant jaser dans les grands médias au point où Paul Arcand l’avait presque sommé de s’excuser pour avoir attaqué « la mémoire » de Ryan.
« M’excuser de quoi? », avait répondu le cinéaste pamphlétaire, du tac au tac.
Évidemment, je ne m’attendais pas à telle injonction, parce que j’ai publié mon hommage sur une plateforme de médias asociaux et que les algorithmes allaient vraisemblablement débarrer la « trappe à likes ».
Mais je me disais déjà, mardi, que dans les jours qui allaient suivre, on lirait et on entendrait sûrement, dans les Médias des Gens de Bien, des commentaires et des analyses à propos d’un « personnage controversé » qui laisse derrière lui un « héritage complexe », ou même peut-être d’un homme « qui, malgré les controverses, croyait fermement en l’exceptionnalisme d’une Amérique qu’il a toujours cherché à servir ».
On ne nous a pas déçu·es à ce chapitre.
Encore une fois, la révérence des Médias des Gens de Bien envers les hommes de pouvoir a supplanté la réalité.
« Un homme de l’ombre influent », rapporte l’Agence France-Presse, reprise dans Le Devoir.
Sur le site du 98,5 FM, on parle d’un « architecte des guerres » dont la mort « rappelle le rôle controversé qu’il a joué dans l’invasion de l’Irak et la recherche d’armes de destruction massive inexistantes ».
Sur son blogue, le journaliste Richard Hétu, lui, reprend essentiellement le communiqué officiel, où on peut lire que « pendant des décennies, Dick Cheney a servi notre nation, notamment en tant que chef de cabinet de la Maison-Blanche, membre du Congrès du Wyoming, secrétaire à la Défense et vice-président des États-Unis ».
« Dick Cheney était un homme formidable et bon qui a enseigné à ses enfants et petits-enfants à aimer notre pays et à mener une vie empreinte de courage, d’honneur, d’amour, de gentillesse et de pêche à la mouche. »
On croirait lire la biographie officielle de Kim Jong-il écrite par le Parti communiste nord-coréen, selon laquelle sa naissance, annoncée par une hirondelle, a déclenché un changement de saison de l’hiver au printemps et un double arc-en-ciel.
Une honteuse tentative de réhabilitation médiatique
Nulle part n’a-t-on pu lire ou entendre des termes un peu plus justes et qui demeurent quand même objectifs, comme « criminel de guerre », « profiteur de guerre », « fossoyeur de masse ».
Les juteux contrats à Halliburton – dont il fut le PDG de 1995 à 2000 – en Irak après une invasion qu’il a participé à orchestrer, les crimes de guerre pendant la soi-disant « guerre contre le terrorisme », les « méthodes d’interrogation renforcées » – beaucoup de mots pour simplement dire « torture » – ne sont que quelques exemples.
Rappelons aussi que le vice-président Cheney était vraisemblablement le réel pouvoir à la Maison-Blanche, avec W. Bush comme pancarte présidentielle, un peu comme Trump n’est actuellement qu’un figurant qui travaille, consciemment ou non, pour des intérêts particuliers qui n’ont rien à voir avec ceux du peuple états-unien.
Encore une fois, la révérence des Médias des Gens de Bien envers les hommes de pouvoir, surtout morts, a supplanté ce qui constitue, pour des millions de victimes du capitalisme et de l’impérialisme états-uniens, la réalité.
« Dick Cheney était un homme formidable et bon qui a enseigné à ses enfants et petits-enfants à aimer notre pays et à mener une vie empreinte de courage, d’honneur, d’amour, de gentillesse et de pêche à la mouche. »
Communiqué de la famille Cheney
Il faut souligner, cela dit, que Cheney a largement été réhabilité par la gent respectable de l’extrême centre dans les deux dernières années. Pourquoi? Parce qu’il s’est opposé à Donald Trump.
Tout le sang que ce démon incarne est lavé à grande eau simplement parce qu’il préférait le bon vieux Parti républicain qui ne se sentait pas le besoin de mépriser et de subvertir des institutions déjà conçues pour servir l’élite bourgeoise et le complexe militaro-industriel.
Car les atrocités commises par Cheney, des guerres préventives à la torture en passant par les prisons clandestines, elles, avaient été facilement légalisées et aussi permises par une concentration des pouvoirs au niveau de la présidence.
Il a établi la matrice qui aura permis au régime de l’amerikanischer Führer de poursuivre la fascisation tranquille, après une administration Obama qui aura failli à la démanteler, voire qui en profité.
Mais bon, Cheney « respectait » ses adversaires politiques et jouait le jeu de la démocratie factice, contrairement à Trump. Alors on a réécrit l’histoire, on l’a présenté comme un grand démocrate et on l’a invité sur tous les plateaux de télé – sur lesquels il continuait, sans gêne, de répéter les mensonges sur la guerre en Irak.
RDI fait la même chose chez nous avec Jean Charest, après qu’il ait saccagé les services publics, trôné sur un régime corrompu et réprimé violemment le mouvement étudiant. On voit que les Américains n’ont rien inventé. Mais je digresse.
Les talibans états-uniens
Aujourd’hui, après avoir commencé à attaquer le Venezuela, Trump menace maintenant le Nigeria – une autre puissance pétrolière, la plus grande d’Afrique – au nom de la « protection des chrétiens ».
Parlant de chrétiens…
On néglige encore trop, dans les Médias des Gens de Bien, la dimension religieuse du régime Trump, dont les sympathisant·es les plus fanatiques croient qu’il est un instrument de la volonté divine au même titre que le roi Cyrus de Perse ou même que le roi David de l’Ancien Testament.
C’est probablement cette dimension, entre autres, qui lui permet de légitimer ses outrages au Congrès et aux tribunaux auprès de sa base : les lois humaines, très peu pour lui.
Cheney a établi la matrice qui aura permis au régime de l’amerikanischer Führer de poursuivre la fascisation tranquille.
Les talibans états-uniens, après des décennies d’entrisme en catimini dans les institutions, ont finalement saisi le pouvoir de manière décisive. Cela est en continuité avec l’ère W. Bush Cheney, durant laquelle on a vu pour la première fois des représentations des Dix Commandements apparaître dans des édifices publics, pendant que John Ashcroft, procureur général, recouvrait la poitrine nue de la statue de la Justice à Washington.
Le mélange explosif entre cet intégrisme chrétien à tendance apocalyptique et le néo-fascisme qui caractérise le programme politique trumpiste reste dangereusement sous-couvert dans les grands médias, surtout ici.
Si – ou plutôt, quand – Trump ne sera plus en mesure d’exercer sa présidence en raison de l’évident déclin qu’on voit progresser en temps réel, J.D. Vance, réelle courroie de transmission du nationalisme chrétien à la Maison-Blanche, prendra alors le pouvoir. Verra-t-on un régime d’ayatollahs s’installer à Washington?




