On dira ce qu’on voudra de Valérie Plante, mais la campagne que la mairesse sortante de Montréal avait menée en 2017 avait ébranlé les colonnes du temple.
Elle rompait avec les ambitions des politicien·nes affairistes en manque de grandeur qui ne parlent que du centre-ville et d’événements touristiques. Il y a huit ans, les élections municipales s’étaient gagnées sur le transport en commun – la fameuse ligne rose –, l’environnement et la qualité de vie.
C’était un tour de force. Rien à voir avec la campagne soporifique de Luc Rabouin.
La stratégie sans slogan et sans saveur de l’aspirant maire, successeur de Valérie Plante à la tête de Projet Montréal, pourrait aussi bien lui rapporter la victoire que la défaite, mais ça n’émouvra personne.
On cherche encore le projet.
L’heure des bilans
Pourtant, la ville a bien changé sous la direction de son parti.
Fondé par l’urbaniste Richard Bergeron, Projet Montréal a été fidèle à ses origines en faisant de ses deux mandats successifs un vaste projet d’infrastructure.
Les élu·es ont profité des travaux d’entretien des conduites d’aqueduc vieillissantes pour mener tout un tas de petits changements à l’aménagement urbain. Pistes cyclables, saillies de trottoir, sens uniques et rues piétonnes ont été mis en chantier sans tarder, profitant d’une collaboration étroite entre les arrondissements centraux et l’Hôtel de Ville.
On a aussi vu des projets pharaoniques se mettre en branle, comme le Quartier des lumières, avec la réhabilitation de l’ancienne tour de Radio-Canada.
Quand on regarde le plan particulier d’urbanisme, tout y est : espaces verts, services publics, accès au fleuve, etc. – et tout ça dans un esprit de mixité sociale. Un projet majeur développé dans un esprit de cohérence, mobilisant promoteurs, entrepreneurs et élu·es, soumis pour consultation publique avant d’être approuvé.
Rien à voir avec la campagne soporifique de Luc Rabouin.
Évidemment, une fois que la Ville a donné son feu vert, le promoteur s’est précipité pour le vendre en pièces détachées à d’autres entreprises et empocher quelques liquidités.
On pourrait oublier que les riches profitent un peu du système, puisqu’il y a le Règlement pour une métropole mixte – la fameuse règle du 20 % de logement social, 20 % de logement abordable et 20 % de logement familial dans les nouveaux développements –, censé assurer que les capitalistes fassent leur part pour maintenir les loyers à un niveau décent.
Mais encore là, c’est relatif, puisque le tiers des logements exigés par le règlement – le logement familial – ne fait l’objet d’aucun contrôle du loyer, et les autres dépendent de programmes de subvention municipaux et provinciaux qui s’appuient largement sur l’état du marché pour contrôler les loyers.
Dans un contexte où un locataire sur trois paie plus de la moitié de ses revenus bruts en loyer, le marché ne peut pas être la mesure étalon.
Les raisons de la colère
La question du logement permet d’illustrer les limites des pouvoirs publics et leur dépendance aux intérêts privés dans la réalisation d’objectifs socio-économiques ambitieux.
On parle de « crise du logement » et de « crise de l’itinérance » comme si c’était une question purement logistique. Comme si on pouvait construire juste assez de logements pour les pauvres tout en continuant éternellement à crinquer les loyers à la hausse.
Mais le problème est structurel et quand la pourriture pogne dans la charpente, on ne se contente pas de changer la brique. Pour régler la crise, il n’y aura pas de miracle : il faut multiplier les alternatives au marché dans la gestion du parc immobilier dans son ensemble.
Sans regard critique sur les inégalités structurelles, on s’acharne à mettre des pansements sur l’hémorragie.
Or, Valérie Plante avait remporté la mairie précisément parce que Projet Montréal n’est pas, au sens strict, un parti de gauche. Ses membres adhèrent à certaines valeurs écologistes et progressistes. Mais sans programme social et économique capable de réellement s’attaquer aux inégalités, la formation politique fait plus comité citoyen qu’alternative au capitalisme.
Ça en fait, au final, un parti d’aménagement urbain qui dépend financièrement des apports en capitaux de la classe dominante pour réaliser quoi que ce soit d’autre que des saillies de trottoir.
Certes, les nombreux projets d’infrastructures menés à terme par Projet Montréal rendent la ville plus agréable et sécuritaire, mais pendant ce temps, les inégalités économiques explosent et les pauvres n’en bénéficient pas. Pire : sans mesures structurantes pour limiter ces effets, ces améliorations empirent la gentrification qui nous expulse de nos quartiers et vient gonfler les rangs de la misère.
Ce serait ridicule de blâmer un parti politique municipal pour les violences du capitalisme, surtout considérant les limites des pouvoirs de la Ville. Mais des moyens existent et l’administration précédente a largement géré les problèmes à coup de matraque en expulsant les sans-abris du métro et en démantelant les campements.
Valérie Plante avait remporté la mairie précisément parce que Projet Montréal n’est pas, au sens strict, un parti de gauche.
Pourtant, Luc Rabouin refuse carrément d’aborder les raisons fondamentales de la croissance des inégalités et de la misère sous sa prédécesseure et de proposer des solutions ambitieuses qui s’attaquent de front aux règles du jeu.
Sans regard critique sur les inégalités et leur rôle structurel dans le système économique, il s’acharne à faire comme tout le monde et à mettre des pansements sur l’hémorragie.
Pire encore, il préfère s’adonner à l’épuisante guerre culturelle autour des pistes cyclables qui sont déjà construites. Il oublie que si on voyage à vélo, c’est aussi à cause du prix des billets de bus.
Clarification : L’article a été mis à jour pour mieux préciser quel projet immobilier était en cause dans l’affaire du Quartier des lumières. (31-10-2025)



