Publicité

De la patente illibérale de Simon Jolin-Barrette à une constitution populaire

La constitution québécoise proposée par la CAQ soulève des questions cruciales dans un monde qui se scinde de plus en plus entre anti-fascisme et illibéralisme.

Je suis allée en Estrie en fin de semaine. Le long de la 112, une candidate municipale affiche « Ensemble pour l’avenir ».

Ou c’était peut-être « Ensemble pour avancer », je ne suis plus certaine. « Avancer pour l’avenir »?

Les crises humanitaires, écologiques, politiques, économiques, sanitaires, migratoires ont engouffré le monde sous le règne de la démocratie libérale.

Les gens sur les pancartes ont le sourire crispé et le slogan vide.

Les institutions tombent en ruine et dévoilent un paysage politique qui se fracture en deux camps opposés : l’illibéralisme et l’anti-fascisme.

Le premier cherche à subvertir les structures de pouvoir qui servent déjà les élites, à consolider leur position par tous les moyens, sans sentimentalité pour les vieux idéaux libéraux de la bourgeoisie. C’est au plus fort la poche. C’est le camp des élites économiques et politiques, de leurs gestionnaires et des soldats de la guerre culturelle.

Le second cherche une prise sur un monde emporté dans une spirale de violence et d’instabilité. C’est le camp des exploité·es, des minorisé·es et des colonisé·es. Ce sont des militant·es, des intellectuel·les et des artistes, des écologistes et des féministes. C’est le camp de la dignité sous toutes ses formes.

Deux factions qui abandonnent progressivement les illusions confortables de la démocratie libérale. De part et d’autre, une politique du moins pire et une proposition politique qui reste à formuler explicitement.

La constitution comme projet illibéral

La semaine dernière, le ministre provincial de la Justice, Simon Jolin-Barrette, remettait son dernier devoir de la session sous la forme d’une constitution québécoise.

Aussi attachant que du téflon, le plus nerd des ministres caquistes nous a exposé longuement son projet de loi 1 lors d’une conférence de presse.

Toute la démarche a quelque chose de gênant.

Premièrement, l’opposition l’a bien rappelé : une constitution, c’est plus qu’un registre des lois importantes rédigé en cachette par un ministre impopulaire. C’est le document fondateur d’un État, qui établit sa forme et en fixe les limites. Rien à voir avec la proposition de Jolin-Barrette, qui n’aborde que timidement la question cruciale de la séparation des pouvoirs.

Comment s’en surprendre venant d’un énième gouvernement élu sur la promesse brisée de réformer le mode de scrutin?

Rajoutons au passage la hiérarchisation des droits fondamentaux – dans la Charte, la liberté de religion serait rétrogradée au profit de l’égalité hommes-femmes – et l’interdiction de contester avec l’argent public les lois du gouvernement qui « protègent la nation québécoise » et son autonomie.

Sur cette question, il y a au moins deux feux rouges qui s’allument. D’une part, le gouvernement promet déjà de limiter l’autonomie financière des syndicats et on peut donc se demander s’ils seront visés par cette restriction constitutionnelle de la contestation judiciaire, vu les exemptions fiscales dont ils bénéficient.

Une constitution, c’est plus qu’un registre des lois importantes rédigé en cachette par un ministre impopulaire

D’autre part, dans un système politique où les contre-pouvoirs à l’exécutif sont à peu près inexistants, l’action judiciaire des organismes publics est fondamentale. C’est d’ailleurs la mission de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui représente les plaignant·es auprès du Tribunal des droits de la personne.

Comme à chaque fois, le ministre a fâché tout le monde. L’opposition qui dénonce le manque d’envergure et le caractère anti-démocratique du processus, les groupes féministes qui s’inquiètent de la légifération sur le droit à l’avortement, les Premières Nations qui n’ont pas été consultées, etc.

Cette nouvelle tentative de concentration du pouvoir par la CAQ explique bien pourquoi la rédaction et l’adoption d’une constitution devraient se faire à distance des élites politiques.

Vers la démocratie populaire

En temps de grande adaptation, le réflexe constitutionnel ne devrait surprendre personne.

Dans un monde en bouleversement, c’est normal de vouloir se doter d’institutions et de moyens adaptés à la crise. Il n’y a donc rien de surprenant venant de la CAQ.

Mais il y a quelque chose de profondément inquiétant dans leur vision d’avenir.

Pour ces gens, les urnes s’expriment une fois aux quatre ans pour leur octroyer un pouvoir quasi-illimité. Le gouvernement tout-puissant de la CAQ n’a rien à faire de la société civile, qu’il ignore volontiers et tente de faire taire par tous les moyens.

Pas de cash, pas de chocolat.

Or, la démocratie, la vraie, ne s’exerce pas derrière un paravent de carton. Elle ne se fait pas entre quatre murs par une clique de gestionnaires et d’avocats en power trip.

Elle se fait au quotidien, dans nos assemblées générales, nos collectifs, nos tables de concertation. La démocratie populaire ne se proroge pas ni ne s’arrête. Elle s’exprime dans la rue, dans les actions directes, dans la désobéissance, dans la mobilisation.

Les institutions tombent en ruine et dévoilent un paysage politique qui se fracture en deux camps opposés : l’illibéralisme et l’anti-fascisme.

Notre démocratie est délibérative, elle échange, elle débat. Elle s’énerve parfois, elle annule, elle call out, mais elle ne matraque ni ne gaze personne. Notre démocratie est faite de chair et d’os, elle ne se cache pas derrière des vitres blindées.

Un processus constitutionnel est peut-être nécessaire au Québec. Avec la polarisation et les crises, avec un gouvernement impopulaire qui dilapide les fonds publics pour des start ups et des contracteurs. Peut-être qu’il est vraiment temps de s’asseoir et de se demander ce qu’on veut vraiment.

Mais pourrait-on, pour une fois, amorcer ce dialogue entre nous? À l’écart des débats partisans et de l’influence des chef·fes?

Pourrait-on réfléchir un modèle qui convienne vraiment aux Québécois·es et qui soit fait avec le consentement préalable, libre et éclairé de toutes les nations autochtones et inuit?

Pourrait-on réfléchir un cadre à l’extérieur du débat sur la souveraineté, quitte à tenir un référendum si Ottawa s’oppose à la volonté populaire?

Si vraiment le Québec doit se doter d’une constitution, il faudra avoir l’ambition de laisser aux soins du peuple la question de savoir si son avenir sera illibéral ou anti-fasciste.

Soutenir Pivot n'a jamais été aussi avantageux...

Grâce à la reconnaissance de notre statut OJE, donnez à Pivot et vous recevrez un reçu de don, ce qui vous donnera droit à une déduction d'impôts !

Ce site web utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur optimale. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité.

Retour en haut