Ç’avait été un immense coup de barre lorsque le ministre québécois de l’Éducation Bernard Drainville avait annoncé, à l’aube des vacances, des coupes monstres de plus de 570 millions $ en milieu scolaire.
Maintes fois pointé du doigt en raison de ces manœuvres d’austérité, voilà que le ministre Drainville semble faire volte-face cette semaine.
Est-il animé d’un soudain regain de générosité? Que se passe-t-il en éducation au Québec?
Retraçons le fil des événements des derniers mois en compagnie de chercheur·euses en éducation qui sont inquiet·es de la tangente que prend la CAQ.
L’excellence en éducation
Le projet de loi 23 porté par le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a été adopté en décembre 2023, malgré qu’il faisait controverse autant dans le milieu de l’éducation que de la recherche.
Dans la foulée de cette réforme, le ministère de l’Éducation s’est doté de son nouvel Institut national d’excellence en éducation (INEÉ), une instance qui doit débuter ses activités cet été et qui suscite beaucoup de questionnements quant à son mandat et sa pertinence.
« Apprendre et régurgiter du contenu, c’est une vision étroite de formule “gagnante”. »
Mélanie Tremblay, UQAR
Selon ce qui a été dévoilé au sujet de l’INEÉ, il aurait pour mission de diffuser et d’uniformiser les « bonnes pratiques » en enseignement. Son mandat tel qu’annoncé par le projet de loi 23 contient beaucoup de beaux mots auxquels on ne saurait s’opposer, comme « excellence » et « efficacité », mais on peine à retrouver une définition claire de ce qu’on entend par là.
Le professeur Stéphane Allaire de l’Université du Québec à Chicoutimi, membre du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) s’interroge. « L’excellence, c’est quoi l’excellence? Ce n’est jamais dit nulle part », critique-t-il en entrevue.
« Est-ce qu’on parle d’excellence entendue comme l’excellence des élèves à réussir des examens standardisés? Si c’est ça, plusieurs d’entre nous pensons que c’est une représentation obtuse du concept de réussite. »
Pas de recette magique pour la réussite
« Il n’y en a pas, une liste de pratiques efficaces en tout contexte, pour toute finalité et pour n’importe quel apprentissage », renchérit Mylène Leroux, professeure à l’Université du Québec en Outaouais et membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIPFE).
« C’est attirant, mais ça n’existe pas, une méthode pour magiquement améliorer la réussite partout au Québec. »
« L’excellence, c’est quoi l’excellence? »
Stéphane Allaire, UQAC
Selon elle, l’idée d’instaurer l’excellence et de diffuser « les bonnes pratiques » sous-entend par ailleurs que les milieux ne les connaissent pas déjà. « Sur quelles bases et quelles études on s’appuie donc pour dire que le milieu ne connaît pas les pratiques et qu’on a besoin de cet institut-là pour le lui dire? », questionne Mylène Leroux.
Au début de l’année 2025, les deux chercheuses Geneviève Messier et Émilie Tremblay-Wragg s’étonnaient d’ailleurs qu’on plaide pour que certaines méthodes d’enseignement soient prônées dans les écoles, tandis que leur récente enquête dévoilait qu’elles y étaient déjà en place.
Quant au budget alloué par le gouvernement à son fameux institut, encore là, nous sommes dans le flou, alors qu’on pouvait lire la semaine dernière dans Le Devoir qu’on ignore le nombre d’employé·es qui relèveront de l’INEÉ de même que le budget qui sera alloué à l’organisation.
Voilà qui est curieux, considérant le climat d’austérité dans lequel le ministre Drainville a forcé les écoles à débuter l’été.
Choisir les élèves
Or voici que cette semaine, Bernard Drainville a annoncé une réinjection surprise en éducation.
Soyons clairs, les 540 millions $ promis cette semaine représentent quand même une coupe. Le calcul est simple : alors que le gouvernement avait annoncé une coupe de 570 millions $ en juin, on ne remet que 540 millions $ dans l’enveloppe.
Au-delà des chiffres que brandit le ministre Drainville et de ses paroles bien pensantes lorsqu’il annonce avoir finalement « choisi les élèves », plusieurs acteurs et actrices du milieu de l’éducation s’inquiètent de la mise en garde du ministre, qui dit vouloir que les 540 millions $ servent exclusivement pour les services de proximité aux élèves.
D’une part, pour la professeure Mylène Leroux, cet avertissement « envoie le message qu’il y a du gros gaspillage et des dépenses inutiles et farfelues qui sont faites – sans aucune preuve à l’appui ».
Mais surtout, il semble y avoir là une mécompréhension de la part du ministre de ce qui contribue à la réussite scolaire. « Évidemment, on n’est pas contre les services de proximité », dit Stéphane Allaire, « mais l’effet pervers en concentrant les fonds sur le service proximal, c’est de mettre une pression indue sur les personnes en proximité des élèves. »
Soyons clairs, les 540 millions $ promis cette semaine représentent quand même une coupe.
La professeure et chercheuse Mélanie Tremblay, de l’Université du Québec à Rimouski et membre du CRIRES, souligne aussi les nombreux effets néfastes difficilement renversables liés aux coupes d’abord annoncées. « On ne pourra pas réparer tout ce qui a été coupé en juin. »
« Par exemple, plusieurs programmes de profils ou de concentrations danse, sport ou art – qui sont financés à même les budgets des écoles et des parents – ont été annulés en juin et les tâches des enseignant·es qui incluaient une part de ce volet ont été confirmées autrement. »
« Quand on a une vision assez ouverte de ce qu’est la réussite éducative, on comprend qu’il y a des jeunes pour qui la musique, le hockey ou la danse sont des disciplines dans lesquelles ils se réalisent, apprennent à se planifier, à agir avec rigueur, à collaborer, à gérer leur stress en situations nouvelles. Ces disciplines et les apprentissages réalisés deviennent même des éléments motivateurs pour s’investir dans d’autres disciplines dont les mathématiques. »
« Est-ce qu’on pense qu’à minuit moins une, le 24 août, on va pouvoir bricoler » un retour de ces programmes? « Est-ce qu’on va retrouver des entraîneurs à qui on a annoncé en juin que leur poste était coupé » et qui ont sans doute cherché un poste ailleurs?
Il faut aussi souligner la quantité de postes d’intervention qui ont dû être supprimés en juin, notamment ceux de technicien·nes en éducation spécialisée, ce qui risque de « créer un roulement de personnel dans les écoles et des défis pour les élèves et pour la continuité des interventions », selon Mylène Leroux.
Quel futur pour l’école québécoise?
Pour la professeure Mélanie Tremblay, la vision caquiste de la réussite des élèves se limite à « apprendre et régurgiter du contenu, une vision étroite de formule “gagnante” » qui semble appartenir au siècle dernier.
Le gouvernement prend actuellement « des décisions rapides qui occultent le plus important », selon elle. « On est en train de mettre en faux ce qui devrait être le véritable débat, c’est-à-dire : quelle est la texture de la réussite éducative visée? »
La professeure de l’UQAR insiste que, pour elle et ses collègues, une vision plus globale de la réussite devrait aussi inclure le développement des compétences organisationnelles, la formation de l’esprit critique ou encore l’acquisition de compétences en lien avec la recherche d’information et l’utilisation des technologies.
Des apprentissages qui, rappelle Stéphane Allaire, sont par ailleurs influencés par le soutien et les conditions de travail qu’on alloue aux enseignant·es.


