Maximiser la précarité : comment votre épicerie tire profit des employé·es temporaires

Après plus d’un an à travailler chez Maxi, notre journaliste explique comment et pourquoi le nombre d’employé·es précaires y augmente.

Chez Maxi, comme dans bien des entreprises de commerce de détail et d’autres secteurs peu syndiqués, les emplois précaires – temporaires, à temps partiel et aux horaires instables, à bas salaire et sans avantages sociaux, etc. – sont de plus en plus courants. Notre journaliste brosse le portrait du magasin où elle-même est employée et montre comment le travail précaire pèse sur ses collègues et sur les travailleur·euses du Québec et du Canada, au profit des entreprises.

À la mi-novembre de l’année dernière, Loblaw, propriétaire de la chaîne de magasins Maxi, a fait état d’une hausse de son chiffre d’affaires. Le bénéfice net s’est élevé à 777 millions $, contre 621 millions $ un an plus tôt. Le chiffre d’affaires de la société a atteint 18,54 milliards $.

Loblaw poursuit l’expansion de sa chaîne de magasins à bas prix, tels que Maxi et No Frills, en ouvrant 25 nouveaux magasins au troisième trimestre et en prévoyant une nouvelle expansion en 2025. Cette croissance est due à l’intérêt croissant des Canadien·nes pour les magasins à bas prix.

Mais ce n’est pas la seule raison.

L’une des raisons du succès de Loblaw est sa dépendance à l’égard des emplois précaires. Les travailleur·euses temporaires représentent une part importante du personnel des magasins de la chaîne, ce qui permet à l’entreprise de maintenir ses coûts au plus bas.

Une majorité d’employé·es temporaires

Dans la salle du personnel du magasin Maxi où travaille notre journaliste est affichée une liste d’ancienneté. Sur celle-ci, 87 noms, parmi lesquels ne figurent plus que 21 employé·es permanent·es – et ce nombre ne cesse de diminuer.

Au cours de l’année dernière, plusieurs employé·es permanent·es ont démissionné – certain·es sont parti·es pour des raisons personnelles, d’autres ont pris leur retraite. Cependant, aucun·e nouvel·le employé·e à temps plein n’a été embauché·e pour les remplacer.

La dernière fois que cela s’est produit, c’était en janvier 2022, et auparavant, en novembre 2018.

Les employé·es temporaires, eux, apparaissent fréquemment, parfois même plusieurs à la fois.

« Par contre, on ne gagne pas assez pour couvrir nos besoins. En plus de cela, il y a peu d’avantages sociaux liés à l’emploi. »

Natalie

Les principales différences entre ces deux types d’emploi sont la stabilité et les avantages sociaux. Les employé·es permanent·es bénéficient d’horaires de travail plus stables, d’un accès aux avantages sociaux et de meilleures perspectives de carrière.

À l’inverse, les travailleur·euses temporaires n’ont pas la garantie d’avoir des heures fixes et leurs horaires changent fréquemment. Elles et ils bénéficient rarement d’avantages comme l’assurance maladie ou les congés payés et sont généralement payé·es au salaire minimum.

Ces salarié·es ont une semaine de travail de 25 à 30 heures, ce qui, d’une part, leur permet d’éviter la surcharge, mais qui, d’autre part, les empêche d’avoir un niveau de vie décent avec le salaire minimum.

À cela s’ajoutent les constants changements d’horaires qui rendent presque impossible la recherche d’un revenu supplémentaire.

Parmi eux et elles se trouvent de nombreux·euses étudiant·es et élèves qui combinent le travail et les études. Mais il y a aussi ceux et celles pour qui le travail à temps partiel est la seule source de revenus.

« Le travail précaire est un enfer »

Natalie* explique qu’elle a choisi ce travail en raison de sa relative simplicité. « J’ai décidé de travailler chez Maxi parce que ça ne demande pas trop d’efforts physiques. Ce travail ne nécessite pas de compétences particulières et peut être combiné avec des études. L’environnement de travail est acceptable, avec des collègues qui se respectent. »

« Par contre, on ne gagne pas assez pour couvrir nos besoins. En plus de cela, il y a peu d’avantages sociaux liés à l’emploi », explique-t-elle.

Natalie travaille chez Maxi depuis plus d’un an, 20 heures par semaine pour 15,96 $ l’heure – à l’exception des quarts de fermeture, où elle gagne 1 $ supplémentaire l’heure si elle sert les clients retardataires après 22 h.

« Travailler au salaire minimum, ça veut dire être en confrontation continuelle avec l’inflation. »

Vincent

La situation est similaire pour les commis. Vincent* travaille chez Maxi depuis un an et demi. Bien que le coût de la vie ait augmenté depuis son embauche, son salaire a à peine augmenté.

« Pourquoi j’ai choisi Maxi? Je cherchais un travail et j’avais de l’expérience dans une autre épicerie. »

« Je pense que le travail précaire est un enfer que personne ne devrait vivre. Les étudiants peuvent se faire remplacer en un claquement de doigts s’ils ne sont pas syndiqués. »

« Travailler au salaire minimum, ça veut dire être en confrontation continuelle avec l’inflation. On tombe malade ou on a un imprévu financier et c’est la catastrophe assurée pour la tirelire », dit-il.

Les travailleur·euses de nuit sont un cas à part. Presque tou·tes sont immigrant·es. La plupart de ceux et celles qu’a rencontré·es notre journaliste sont des étudiant·es de pays africains venus au Québec pour étudier. Il semble que les quarts de nuit, mal payés, ne soient pas très populaires auprès de la population locale.

Un phénomène en hausse

Vincent Chevarie, responsable des dossiers politiques et des communications de l’organisme Au bas de l’échelle, qui défend les travailleur·euses non syndiqué·es, note que la prévalence du travail précaire augmente alors même que les taux d’emploi globaux sont en hausse, stimulés par la multiplication de ces emplois de basse qualité.

L’augmentation a été particulièrement forte entre 1975 et 2000, et se poursuit encore aujourd’hui, explique-t-il. Elle touche particulièrement les secteurs moins syndiqués.

« La précarité entraîne une forte rotation du personnel et une pénurie de main-d’œuvre persistante », remarque aussi Vincent Chevarie.

Selon Julia Posca, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), la proportion d’employé·es à temps partiel dans l’ensemble de l’économie a eu tendance à diminuer au cours des dix dernières années. En revanche, elle a augmenté dans le secteur du commerce de détail, passant de 26 % en 1990 à 39 % en 2024.

« Les emplois dans le commerce de détail sont souvent peu attractifs, offrent de bas salaires et des conditions difficiles », explique Julia Posca.

« La montée de l’emploi précaire détériore les conditions de travail et accentue les inégalités. »

Julia Posca, IRIS

Ainsi, « depuis plusieurs années, le taux de postes vacants a augmenté dans ce secteur », ajoute-t-elle. « Malgré un récent ralentissement économique, les entreprises recherchent encore des travailleurs précaires. »

Jason Foster, directeur de l’institut de recherche Parkland en Alberta, écrit dans son livre Gigs, Hustles, & Temps (2023) que depuis 1989, le nombre de travailleur·euses canadien·nes occupant des emplois précaires ou faiblement rémunérés est passé de 28 % à 36 %.

Cette évolution s’est faite au fil des décennies et touche particulièrement les groupes vulnérables, tels que les immigrant·es.

« Depuis les années 2000, la part des travailleurs migrants dans ces emplois semble augmenter, bien que les données précises soient limitées », confirme Vincent Chevarie. « Leur statut les expose à des contrats instables et à une exploitation accrue par les agences de placement. »

Kendra Strauss, chercheuse au Centre canadien de politiques alternatives, explique que les immigrant·es obtiennent plus difficilement des emplois dans les secteurs stables de l’économie. Ils et elles se retrouvent alors coincé·es dans le secteur des services, où les employeurs réduisent les coûts aux dépens des employé·es plus précaires.

Parmi les travailleur·euses les plus précaires, on trouve en particulier les immigrant·es temporaires, venu·es au pays avec un visa de travail « fermé », directement lié à un contrat avec une entreprise spécifique.

Julia Posca souligne que ces employé·es étranger·es temporaires, « vulnérables en raison de leur statut juridique précaire, auraient peu de moyens pour défendre leurs droits et seraient plus exposés à l’exploitation ». Elle ajoute que « beaucoup hésiteraient à signaler des abus par crainte de perdre leur emploi ou leur statut ».

À qui ça profite?

La croissance de l’emploi précaire est également liée à des décisions politiques.

Par exemple, les aides sociales sont progressivement réduites. Un rapport du Centre canadien de politiques alternatives indique que vers le milieu des années 1990, la couverture de l’assurance-emploi est tombée de 80 % à 40 %. Cela pousse les travailleur·euses à accepter des emplois moins avantageux.

L’absence de congés payés et de garanties sociales ainsi que les bas salaires permettent aux entreprises d’économiser de l’argent. De plus, les entreprises disposant d’une main-d’œuvre bon marché sont plus attrayantes pour les investisseurs.

Par conséquent, leurs bénéfices augmentent, tandis que de plus en plus de travailleur·euses s’appauvrissent. Les inégalités se creusent donc, et, avec elles, l’instabilité gagne du terrain.

« Cette flexibilité fragilise le marché du travail, accroît la pauvreté et génère des coûts sociaux importants. »

Vincent Chevarie, Au bas de l’échelle

« Dans le secteur alimentaire, le recours aux immigrants temporaires permet aux employeurs d’éviter d’améliorer les conditions de travail », illustre Julia Posca. « Ces travailleurs restent les plus exposés aux risques et sont souvent les premiers licenciés en période de crise. »

« En résumé, la montée de l’emploi précaire détériore les conditions de travail et accentue les inégalités. »

Vincent Chevarie explique que, malgré certaines avancées législatives au fil des décennies, l’accès aux avantages sociaux reste limité pour les employés précaires.

« Cette flexibilité, bien que bénéfique pour les employeurs à court terme, fragilise le marché du travail, accroît la pauvreté et génère des coûts sociaux importants », souligne-t-il aussi.

Nous avons sollicité la direction de Loblaw afin d’obtenir des précisions sur l’augmentation du nombre de travailleur·euses précaires dans les magasins Maxi. Nous avons également demandé dans quelle mesure ces employé·es ont accès aux avantages sociaux et comment leurs droits sont protégés. Au moment de publier cet article, nous n’avions pas reçu de réponse.

* Noms fictifs. Pivot a accordé l’anonymat aux travailleur·euses cité·es afin de leur éviter des représailles de la part de leur employeur.

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