« So, so, so… sauvons notre boisé! »

Un groupe de citoyen·nes de Québec se mobilise pour sauvegarder le boisé des Châtels, menacé par le projet d’un promoteur.
Photo: Sam Harper

Le samedi 13 avril, environ 200 personnes ont manifesté sur le boulevard de l’Ormière et les rues avoisinantes, en banlieue de Québec. Cette manifestation, organisée par le groupe des Amis du boisé des Châtels, avait pour but de souligner l’opposition au projet de développement immobilier prévu sur un vaste espace vert de 200 hectares.

La manifestation a débuté par un rassemblement en face de l’école Notre-Dame-des-Neiges. Après Naélie Bouchard-Sylvain, du groupe organisateur, le député solidaire Sol Zanetti et la cheffe du parti Transition Québec et conseillère municipale de Limoilou, Jackie Smith, ont aussi pris la parole.

Étaient aussi présentes des personnes impliquées dans la défense d’autres boisés de la région de Québec, comme celui au sud de l’aéroport et des forêts Chaudière, situé près du nouveau magasin IKEA.

Le terrain est la propriété du Groupe Dallaire, qui tente de faire approuver le développement d’un projet immobilier comportant l’agrandissement d’un parc industriel et la construction d’unités résidentielles. La teneur exacte du projet n’est pas connue et sa forme finale dépendra des démarches de consultation qui sont en cours, affirme la Ville.

Les Amis du boisé des Châtels se sont organisés en 2018 lors de la première phase de développement sur ce terrain. « C’est un gros parc industriel qui a été bâti sur 50 hectares de milieux naturels », explique Naélie Bouchard-Sylvain, porte-parole du groupe. Cette fois, « on s’est rassemblé [à nouveau] pour que les 200 hectares qui restent soient protégés et qu’ils ne soient pas saccagés que pour du développement économique ».

Des consultations avaient eu lieu en 2017 et 2018 concernant la première phase du projet. Le développement qui en a résulté est situé à l’est de l’autoroute Henri-IV, au nord de l’avenue Chauveau. Appelé Espace d’innovation Chauveau, ce parc industriel abrite maintenant le centre de distribution de la Maison Simons, ainsi que d’autres entreprises.

 Dans les années 2000, le Groupe Dallaire, une entreprise de développement immobilier actif dans la région de la capitale nationale, a acquis plusieurs « terrains à fort potentiel de développement », peut-on lire sur le site Web de l’entreprise.

Le terrain défendu par les Amis du boisé fait partie de ces terrains achetés par le Groupe Dallaire. Selon la Ville, il est constitué à près de 50 % de milieux humides.

Le site a été incorporé dans le périmètre d’urbanisation de la Ville de Québec en 2005. Dans le Schéma d’aménagement et de développement de la Ville, qui a été révisé en 2020, ce site est visé pour accueillir du développement industriel.

Au cours des années, ce boisé a été adopté par la population locale. Plusieurs dizaines de kilomètres de sentiers, des ponceaux de fortunes et autres cabanes y ont été aménagés. En hiver, des gens locaux déneigent et dament une trentaine de kilomètres de sentiers de randonnée.

L’achalandage s’est accentué durant la pandémie. Mais sur le conseil de ses assureurs, le Groupe Dallaire a décidé d’interdire l’accès à ses terrains à la fin de l’été 2023.

Dans une lettre ouverte publiée à la suite de cette décision, les Amis du boisé suggéraient « au Groupe Dallaire de revoir sa décision récente et de considérer, à plus long terme, la conservation de ce rare refuge de biodiversité ».

Des promesses rompues

Lors de la campagne électorale municipale de 2021, le parti Québec forte et fière (QFF) de l’actuel maire Bruno Marchand avait promis « une protection sans compromis des espaces verts » et de « faire cesser le développement dans les boisés de la ville ». Une promesse qui a été reniée par la suite, alors que le parti a finalement gardé la porte ouverte au développement.

La conseillère municipale de QFF pour le district Loretteville-Les Châtels, Marie-Josée Asselin, déclarait sur sa page Facebook en 2021 : « une forêt c’est vivant, et “on va planter de nouveaux arbres”, ça ne peut pas être la réponse à la destruction de nos espaces verts! »

« Lors de l’élection […] elle avait promis de protéger 100 % du boisé et ensuite, quelques jours après avoir été élue, elle a dit que ce ne serait pas possible », se désole Naélie Bouchard-Sylvain. Elle et les membres de son comité n’ont pas digéré ce revirement.

Mme Bouchard-Sylvain relate que son groupe a « talonné » la conseillère municipale lors des différents conseils de quartier pour savoir ce qui allait advenir du boisé. Les citoyen·nes se seraient fait répondre de ne pas s’inquiéter, qu’il allait y avoir des consultations et que leurs préoccupations seraient entendues.

Lors de l’atelier d’échange sur le Plan particulier d’urbanisme (PPU) du secteur Chauveau, tenu le 20 mars dernier, Marie-Josée Asselin affirmait avoir réalisé que la conservation du boisé « ne pouvait pas passer par le statu quo actuel ». Pour la conseillère municipale, la présence de bornes-fontaines dès 1997 dans un secteur du boisé était « le signe que ce terrain-là était appelé à être développé ».

Elle explique que le projet présenté par le Groupe Dallaire avant les élections, qui prévoyait du développement sur la presque totalité du terrain, « ne convenait pas à nos ambitions pour la protection du boisé ». Ce projet prévoyait un développement industriel et résidentiel, principalement des maisons unifamiliales et des jumelés.

Ce projet a donc été mis sur pause pour permettre à la Ville de lancer un PPU pour le secteur Chauveau, qui doit venir baliser le développement du secteur.

La conseillère a ajouté que « M. Dallaire a été très bon joueur dans cette histoire-là et depuis deux ans, on travaille activement avec lui pour arriver à un scénario de compromis ».

Au moment de publier, Marie-Josée Asselin n’avait pas répondu à la demande d’entrevue de Pivot.

Des consultations décevantes

Une première réunion pour présenter la démarche d’adoption du PPU a eu lieu le 30 janvier dernier. Par la suite, la Ville a organisé deux ateliers d’échange, les 20 et 26 mars.

Le 20 mars, Mélissa Coulombe-Leduc, membre du comité exécutif de la Ville, définit la procédure comme ceci : « le [PPU], c’est un outil pour définir comment on conçoit le développement d’un territoire […] lorsqu’il y a une multiplicité de besoins qui doivent être conciliés dans un territoire donné ».

Ce PPU va ensuite mener à des règlements qui vont encadrer le développement futur, explique-t-elle à l’auditoire. « On a une opportunité […] de rêver un secteur en se donnant des cibles ambitieuses de conservation », renchérit-elle.

« On s’est rendu compte que c’était beaucoup plus un moment pour présenter la vision de la Ville à la population. On a eu très peu de temps de parole », se désole Naélie Bouchard-Sylvain. « C’était plus un exercice de relation publique qu’une consultation. »

De plus, pour les Amis du boisé, les cibles de conservation de la nature sont loin d’être ambitieuses. « Lors de la consultation, la Ville a dit vouloir protéger de 60 % à 70 % du boisé, mais on se rend compte que dans cette partie, il y a des terrains qui appartiennent à la Ville. Il y a le terrain d’Hydro-Québec qui est inclus dans le 70 %, alors [que le promoteur ne peut] pas y construire. Il y a les ruisseaux et les bassins de rétention d’eau, qui ont été construits en vue du futur développement, qui sont inscrits dans cette cible. On se rend compte qu’on parle plutôt de 40 % à 50 % de protection pour le terrain du promoteur », relate la porte-parole du groupe citoyen.

Les Amis du boisé des Châtels revendiquent sa conservation entière. « On est dans une crise environnementale et on sait que les milieux naturels rendent des services écosystémiques importants », défend la porte-parole.

Le boulevard de l’Ormière, situé non loin de là, a été fortement développé dans les dernières années, explique-t-elle, causant une augmentation des îlots de chaleur. La proximité de milieux naturels, « c’est aussi bon pour la santé globale des citoyens et citoyennes », ajoute-t-elle.

La Ville justifie ce projet par le besoin estimé de parcs industriels dans les prochaines années. « Comment est-ce qu’on peut penser que dans dix ans, on va avoir les mêmes impératifs économiques que maintenant, alors que la crise environnementale s’accélère? » questionne Naélie Bouchard-Sylvain.

« Pourquoi est-ce qu’on privilégie tout le temps le développement économique avant la conservation de la nature? »

La marche de samedi dernier s’est organisée parce que les citoyen·nes n’ont pas eu l’impression d’avoir été entendus lors des séances d’échange autour du PPU. « On n’a pas eu le temps de s’exprimer dans le cadre officiel de la Ville. On va prendre notre pouvoir citoyen et s’exprimer dans la rue », affirme Naélie Bouchard-Sylvain.

Elle explique que les quartiers de Loretteville et Des Châtels, en banlieue de Québec, n’ont pas une culture militante. « Mais à voir les réactions des gens et la participation aux consultations, on voit que la population tient à ces milieux naturels », remarque-t-elle.

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