Tremblements : les traumatismes de l’aide humanitaire

La pièce nous plonge dans les méandres psychologiques d’une infirmière en état de choc post-traumatique.
L’actrice Debbie Lynch-White interprète Marie, un personnage tourmenté. Photo : Yanick Macdonald (Espace Go).

Parfois drôle, souvent émotionnelle, continuellement perturbante, la pièce Tremblements nous fait vivre les tourments d’une infirmière revenant de mission humanitaire, victime de stress post-traumatique. Une pièce brillante, malgré les parts d’ombre qu’elle met en scène, qui offre une exploration poignante des réalités de l’aide humanitaire.

C’est dans une salle disposée en deux arcs de cercle, à la manière d’une arène de gladiateur, que se déroule la pièce Tremblements qui sera présentée à l’Espace Go jusqu’au 2 décembre 2023. 

Dans cette mise en scène du texte de Christopher Morris par Édith Patenaude, nous nous trouvons dans une salle sombre, épurée, au milieu de laquelle est disposé un plateau tournant. Le bruit strident des mécanismes qui l’animent se laisse entendre.

Un corps, convulsant de manière spasmodique, est étendu au milieu de cette scène qui tourne continuellement, alors que le public prend place. Le silence se fait, une ambiance pesante est tout de suite posée.

Tremblements, c’est l’histoire de Marie, interprétée par Debbie Lynch-White, une infirmière, membre de Médecins sans frontières (MSF), traumatisée par les souvenirs tragiques de ses missions en Centrafrique et en mer Méditerranée, notamment à bord du bateau de sauvetage de migrant·es Aquarius.

Marie est seule sur cette scène qui tourne. Elle est plongée dans le remords, rongée par ses traumatismes, prisonnière de ses pensées. Elle tourne en rond, elle perd la tête, au sens propre et figuré. Rarement la psychologie d’un individu a été rendue aussi perceptible collectivement. Saluons à ce titre le talent de Debbie Lynch-White, qui donne à ce personnage tourmenté ses lettres de noblesse.

Une performance éminemment physique de Lynch-White. Photo : Yanick Macdonald (Espace Go).

« On voulait offrir à Debbie un espace avec lequel elle peut interagir, dans lequel elle peut se battre et s’abandonner. C’était important qu’il y ait une interaction avec le monde, que le combat qu’elle traverse devienne physique. Il y a un grand flot de paroles dans la pièce et il était important que le corps soit impliqué », souligne Édith Patenaude en entretien.

Sur scène, l’actrice hurle, elle enrage, elle se jette au sol, elle convulse et se morfond. « Elle est prise dans le vortex de sa pensée, elle se débat pour la faire avancer », lance Édith Patenaude en rappelant qu’il est important « que chaque personne y trouve sa propre compréhension ».

Son monologue, fort et cru, met en lumière les horreurs du monde que sont la violence, la guerre, les meurtres, la torture, tout en soulignant les limites de l’aide humanitaire face à de telles atrocités. À travers ses souvenirs, le personnage de Marie tisse une toile de fond sur laquelle prend place un questionnement lancinant : comment aider les gens? 

Rarement les complexités de l’aide humanitaire ont aussi bien été saisies.

Regard intime sur l’humanitaire

Tremblements est une histoire inspirée de faits réels. Pour écrire sa pièce, le dramaturge torontois Christopher Morris s’est basé sur le vécu d’une infirmière de Montréal, Liza Courtois, en la suivant sur six ans, avant, pendant et après sa première mission pour MSF.

Témoin de souffrances inimaginables, mais également d’incohérence entre sa volonté d’aider les autres et les retombées concrètes de ses actions, le personnage de Marie, à travers ses souvenirs, est torturé par ses propres contradictions. Elle se sent inutile.

Marie est rongée par les remords, la colère et les traumatismes. Photo : Yanick Macdonald (Espace Go).

Marie se remémore ses expériences passées, comme lorsqu’une femme lui demande de l’aider à avorter alors que la pratique est interdite en Centreafrique et que MSF la renvoie pour l’avoir fait.

Un choix que la protagoniste critique, mais comprend au plus profond d’elle-même. MSF aurait pu être expulsé du territoire pour une telle action et ce sont des milliers de personnes qui auraient été privées de soin. Mais alors que devait-elle faire, laisser cette femme aller au marché noir et mourir?

Marie, dans son appréhension des événements, est guidée par son éthique, sa conscience et sa morale. Mais toutes ces convictions sont culturellement déterminées et, une fois en Centrafrique, n’ont parfois pas les conséquences positives espérées. Se dresse ainsi progressivement chez la protagoniste le sentiment de faire partie de ce qu’elle nomme les « sauveurs blancs ».

Le personnage de Marie hurle sa rage à elle-même. Photo : Yanick Macdonald (Espace Go).

« Ce n’est pas une critique de l’aide humanitaire, mais c’est un constat que l’aide humanitaire, comme tout système, comme tout organisme, a ses limites et ses failles. La pièce ne donne pas de réponse, elle ne dit pas “voici le diagnostic de l’aide humanitaire”, mais elle fait état de la douleur du monde et du désir d’aider et de tout ce que ce désir d’aider peut porter de contradictoire », remarque Édith Patenaude.

Son discours montre ainsi à la fois les limites de l’aide humanitaire et, en même temps, son indispensable nécessité.

Marie repense au jour où ses supérieurs lui ont annoncé la fin de la mission Aquarius. Elle enrage en repensant à toutes ces personnes qui sans le bateau, sans MSF, sans elle, disparaîtront en mer. « Vous allez laisser tous ces gens mourir? », se hurle-t-elle à elle-même avant de se jeter au sol, prise d’une crise de panique.

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