Nouvelle Alliance : unir les jeunes indépendantistes derrière un nationalisme identitaire

L’organisation indépendantiste prône un nationalisme identitaire et ethnique, et bien qu’elle rejette toute association avec l’extrême droite, utilise une imagerie qui en est fortement inspirée.

Nouvelle Alliance est un groupuscule nationaliste actif depuis un plus d’un an et demi. Ce groupe affirme n’être ni « de gauche » ni « de droite »… mais prône un nationalisme identitaire, étiquette qu’il assume et revendique. Cette organisation est-elle un « grand chapiteau » pour unir les forces indépendantistes, ou bien un véhicule de la droite radicale pour « berner les naïfs » ?

C’est en mars 2022 qu’une vingtaine de jeunes, principalement des hommes, ont tenu leur première rencontre officielle à Montréal. Depuis, le groupe, baptisé Nouvelle Alliance (NA), a aussi fondé des sections locales à Sherbrooke et à Québec. Le groupe compterait aujourd’hui une soixantaine de membres.

François Gervais, le président de NA, nous explique en entrevue que les fondateurs du groupe militaient auparavant au sein de diverses entités nationalistes : la Société Saint-Jean-Baptiste, le Parti québécois et le Bloc québécois. À ces groupes plus officiels, il faut aussi ajouter le Front canadien-français, un groupuscule de droite ultra-catholique, dont faisaient partie quelques membres fondateurs de la Nouvelle Alliance.

« Souvent, la forme que prenait [le militantisme] dans les véhicules traditionnels, c’était des soirées mondaines […], c’était ce qu’on appelle grossièrement du souverainisme de salon », rapporte François Gervais. Parce que, selon lui, « le confort dépolitise », Nouvelle Alliance cherche à « apporter la lutte pour l’indépendance dans la rue », à « être plus combative dans son approche et surtout […] ne pas attendre après les politiciens ».

En plus d’apporter le militantisme dans la rue, Nouvelle Alliance veut « être cette espèce de chapiteau » où pourraient se retrouver des indépendantistes de tous les horizons.

C’est ce qu’évoque le nom que le groupe s’est choisi — qui fait aussi penser à l’Alliance Laurentienne, un groupe indépendantiste québécois à l’idéologie fasciste, actif vers 1960.

François Gervais affirme qu’il ne faut pas voir dans le nom de son organisation un lien avec celui fondé par Raymond Barbeau, même s’il admet pouvoir y puiser « certains éléments d’inspiration ». « Notre nom doit être compris dans son sens premier. Une nouvelle alliance des indépendantistes authentiques et véritables. »

En analysant le discours de Nouvelle Alliance, le politologue Jean-Pierre Couture, professeur à l’Université d’Ottawa, considère que malgré le vernis rassembleur que se donne le groupe, « il y a beaucoup de soustractions dans son projet unitaire » : la décolonisation et la résurgence autochtone, mais aussi l’indépendantisme politique et l’État de droit ne semblent pas faire partie du programme de NA.

Nationalisme identitaire, ethnique et patriotique

Le nationalisme de la Nouvelle Alliance se base sur une appartenance ethnique, se distinguant ainsi d’un nationalisme politique ou civique, basé sur la citoyenneté ou la cohabitation.

Dans son manifeste, NA déclare que l’indépendantisme sans nationalisme, défini comme identitaire, est une « coquille vidée de son fruit ». Pour François Gervais, cela veut dire que NA « [répond] à toute question selon l’intérêt premier de la nation ».

Son organisation rejette donc la notion d’un indépendantisme qui ne serait pas nationaliste. « Nous voulons faire [l’indépendance] pour maintenir notre pouvoir, maintenir notre majorité [canadienne-française] », dit-il.

Le président de NA concède qu’« il n’est aucunement nécessaire d’être un Canadien français […], pour être bon patriote » et qu’« il est tout à fait à la portée d’un nouvel arrivant de comprendre la dimension identitaire de notre combat et même de la rejoindre ». Il précise cependant que selon lui, « tout nationalisme puise ses racines dans la compréhension qu’il y a aux sources de la nation une ethnicité. Il n’est aucunement raciste de le reconnaître et c’est le cas pour tous les peuples et pour toutes les nations du monde ».

Jean-Pierre Couture comprend mal la position de NA, qui d’un côté prône l’alliance de toutes les forces souverainistes, mais de l’autre, oublie qu’« il y a beaucoup de gens qui sont pour un nationalisme politique, sans référence ethnique, et ce sont des gens qui peuvent être appelés à voter “ oui ” pour le grand projet en question ».

« Comment peut-on convaincre ceux qui n’appartiennent pas à ladite ethnie d’embrasser le projet » d’indépendance s’il est identitaire ou ethnique, s’interroge-t-il.

Pour NA, cette ethnie qui forme la majorité est l’ethnie canadienne-française, la descendance des colons français. Dans ce cadre nationaliste identitaire, l’indépendance apparaît comme un moyen pour assurer la primauté des Canadiens français sur les autres groupes qui partagent le territoire québécois. « Si nous reconnaissons [ce droit] à nous-mêmes, nous le reconnaissons envers les autres aussi. Les peuples ont le droit de demeurer majoritaires chez eux », ajoute-t-il.

Le professeur Couture explique que cette vision d’une ethnie qui doit être dotée de son État national serait plutôt l’exception et que la grande majorité des pays du globe abritent plusieurs nations. « Si on regarde la planète, la normalité, c’est d’être une ethnie minoritaire sous le joug d’une majorité qui se sent plus universelle ou plus historique ou plus importante », dit-il.

La fin de l’État de droit ?

Pour le président de NA, un Québec indépendant pourrait faire appliquer ses lois sans craindre que la Cour suprême ne vienne les invalider au nom des droits d’une minorité.

« Un Québec pays est capable de faire appliquer sa juridiction, de faire appliquer ses lois sans intervention du gouvernement fédéral », dit François Gervais.

Il soulève la possibilité d’une contestation en Cour suprême de la loi 21 sur l’interdiction du port de signes religieux et de la loi 96 sur le statut de la langue française, et ajoute : « ce genre de considération, nous ne les aurions pas ».

« On a beau dire que les gens de partout sont les bienvenus, là, [Nouvelle Alliance] reprend exactement la position de Barbeau » et de l’Alliance laurentienne, souligne Jean-Pierre Couture. Pour illustrer cette idée de primauté de la majorité dans la pensée de Barbeau, il le cite : « les minorités, elles ne doivent pas accomplir une œuvre de dénationalisation, d’abâtardissement ou de négation des droits les plus sacrés de la nation laurentienne ».

Image tirée de la page Facebook du groupe

« C’est assez vertical comme rapport aux minorités », note Jean-Pierre Couture. Pour le politologue, le concept de nation démocratique implique plutôt l’abolition des privilèges et la défense des droits des minorités. « La démocratie, ça ne veut pas dire la majorité », dit-il. « La démocratie, ça veut dire que personne ne doit être dominé de manière injuste ou illégitime par le voisin ou par les forts. »

Ni de gauche ni de droite

La Nouvelle Alliance dit être une organisation « unitaire » qui veut rallier les indépendantistes de tous les horizons politiques. Cette apparente ouverture implique toutefois d’accepter les positions identitaires de NA, ce qui limite l’audience.

« Que nous soyons conservateurs ou progressistes », affirme le président de NA, « c’est quelque chose qui est secondaire dans la mesure où nous nous reconnaissons une responsabilité envers l’histoire. »

C’est cette responsabilité qui, selon lui, permet de concilier des « syndicalistes et des gens qui vont à la messe le dimanche ».

En examinant les publications du groupe et de ses sympathisants sur les réseaux sociaux, on note la présence, par exemple, de jeunes catholiques traditionalistes, d’un chanteur de groupe punk, d’un ancien candidat pour le Parti vert, d’un blogueur et animateur de podcast de tendance « libérale classique », ou encore d’une personne s’affichant comme le représentant de la branche jeunesse du Rassemblement national, un parti politique français de droite radicale.

Il est donc vrai que publiquement, NA ne semble pas avoir d’idéologie très campée, si ce n’est sur la question nationale.

Au balado Le Debrief avec Frank « le Dédômiseur », l’un des membres fondateurs de NA, Samuel Rasmussen, réagit à un article du Canadian Anti-Hate Network, qui qualifie NA d’extrême droite et qu’il juge malhonnête.

Il réfute l’idée que le groupe soit d’extrême droite. « On n’est pas pour la violence […] ou l’exclusion raciale ou une discrimination quelconque », dit Rasmussen. Dans « le groupe, il y a des catholiques, il y a des jeunes qui sont proches des idées de Duplessis, etc. C’est très correct… ils ont le droit de s’exprimer. Ces gens-là ne sont pas un danger public ».

Sur les profils de certains membres sur les réseaux sociaux, on peut lire des citations de Louis-Ferdinand Céline, romancier et antisémite français notoire, d’Ernst Jünger, un nationaliste conservateur allemand, ou encore du chanoine Lionel Groulx, figure importante du nationalisme conservateur au Québec.

Certaines tendances plus à gauche semblent quant à elles peu bienvenues dans le giron de la Nouvelle Alliance. Dans un texte en réaction à des graffitis apposés sur une murale du groupe, — sous la phrase « Je suis séparatiste », quelqu’un avait ajouté « et socialiste » — on peut lire que « l’extrême gauche est toujours en première ligne pour venir saper le travail des patriotes honnêtes, hier comme aujourd’hui ».

Dans un groupe Facebook réunissant des indépendantistes, en réponse à une internaute qui voit du « communisme » dans une publication de NA, le groupe répond : « nous ne sommes certainement pas marxistes ».

Sous une autre publication, alors qu’une autre internaute s’inquiète qu’il y ait « probablement plus de QSistes dans le groupe que de péquistes », un membre de NA répond : « je suis dans la Nouvelle Alliance et je vous reassure [sic] il n’y a pas de quistes [sic] parmi nous ».

Un nationalisme très masculin

NA est un mouvement formé principalement de jeunes hommes. La moyenne d’âge tourne autour de 24 ans, rapporte François Gervais.

Lorsque Pivot lui mentionne que le mouvement semble très masculin, le président de NA répond, en riant : « vous venez de mettre le doigt sur le grand dilemme ». Pour lui, tout mouvement a un « public cible » et il réalise que « ce sont majoritairement les jeunes hommes qui se retrouvent chez [NA] ».

Il y aurait des femmes à NA, dit-il, bien qu’elles soient pratiquement absentes des photographies publiées par le groupe. Cela s’expliquerait par le fait que plusieurs d’entre elles ne veulent pas apparaître à la caméra, explique le président.

Il émet aussi l’hypothèse que « les jeunes militantes indépendantistes ont [peut-être] une plus grande aversion du risque » et que ce genre de militantisme « correspond moins à leur fibre, ou à leur nature ».

L’ombre du Front canadien-français

François Gervais et au moins deux autres membres fondateurs de Nouvelle Alliance militaient auparavant dans un groupuscule catholique traditionaliste appelé le Front canadien-français (FCF). Ce groupe a été actif pour une courte période en 2020.

Selon son site Web, aujourd’hui disparu, ce groupe fondait son nationalisme sur « le constat qu’il existe des lois naturelles et immuables qui régissent l’histoire des hommes » et déplorait que « nous, Canadiens français, avons perdu la foi et sommes menacés de devenir une minorité dans notre propre pays ».

La solution ? Retrouver la foi, rejeter l’égalitarisme et « gouverner selon la doctrine sociale de l’Église ».

« La plupart des militants de ce petit groupe, le FCF, sont maintenant connus », concède François Gervais. « Leurs noms et leurs visages ont été dévoilés par des procédés assez malveillants », dit-il, en référence à un article publié par Montréal Antifasciste portant sur ce groupuscule et la mouvance catholique traditionaliste québécoise.

« J’ai été membre de ce groupe, c’est vrai », affirme François Gervais. Mais comme une minorité des membres de NA étaient auparavant dans le FCF, « il est objectivement faux de dire que Nouvelle Alliance est l’héritier politique du Front canadien-français », insiste-t-il.

Une imagerie qui laisse perplexe

Les actions du groupe jusqu’à présent ont pris la forme de mises en scènes pour commémorer des personnages et événements historiques, ainsi que d’affichages et de dévoilements de bannières.

Le groupe est aussi « féru d’instruments pyrotechniques », selon son président. Fumigènes, feux à mains et autres accessoires sont couramment utilisés pour la « mise en scène » et « pour être vus », « pour l’image ».

La première manifestation publique du groupe a été une commémoration de l’exécution des patriotes au Pied-du-Courant en mai 2022.

Pour l’année 2023, un peu plus d’une dizaine d’actions ont été publicisées sur les comptes de NA sur les réseaux sociaux. NA a par exemple organisé le déploiement de banderoles le 1er juillet dernier. L’une de celles-ci était l’œuvre de membres qui ont escaladé le pont Alexandra, qui relie les villes de Gatineau et d’Ottawa.

Des militants de NA ont apposé des collants « arrêt » sur des panneaux de signalisation affichant le mot « stop », à deux reprises. La première fois à Ville Mont-Royal, en août 2022, et une deuxième fois en juillet 2023, à Lennoxville, dans la région de Sherbrooke. Ce sont ces actions qui ont fait le plus parler du groupe dans les médias, selon les dires de François Gervais.

Comme les municipalités à majorité anglophone ont des droits en termes d’affichages, « ça annonce que pour cette frange-là du mouvement identitaire, les minorités n’ont pas de droits », s’inquiète Jean-Pierre Couture. « Quand tu veux rallier un maximum de personnes à la thèse de l’indépendance, puis que tu sacrifies d’emblée les anglos, […] tu leur envoies le message que “ quand on va gagner, vous n’aurez plus rien ” », ajoute-t-il.

Nouvelle Alliance a tenu une cérémonie en l’honneur de Montcalm le 10 septembre dernier. Les images de cet événement, diffusées sur le Web, montrent des militants, drapeaux et flambeaux à la main.

Cérémonie en hommage à Montcalm. Photo tirée de la page Facebook du groupe.

Ces commémorations autour de monuments historiques, l’affichage et les banderoles rappellent les actions du groupe d’extrême droite québécois Atalante. Il est également difficile de ne pas associer l’image d’une marche aux flambeaux avec la manifestation « Unite the Right » tenue à Charlottesville en 2017, où une jeune femme antifasciste a été tuée par un militant néonazi.

« Nous le savions à l’avance, mais bon, ça s’est confirmé », nous dit François Gervais. « On nous a reproché l’utilisation des flambeaux. » Il considère que l’utilisation de flambeaux a servi à « représenter la saine gravité d’un moment ». Il évoque l’usage de flambeaux lors de marches contre l’apartheid en Afrique du Sud ou encore la célèbre flamme olympique. Pour lui, les fumigènes, flambeaux et autres éléments pyrotechniques, « ce n’est pas quelque chose qui est l’exclusivité d’une extrême droite. Ça, on le réfute, on le réfute tout à fait ! »

Pour le politologue Jean-Pierre Couture, cette imagerie s’inspire de l’esthétique fasciste, ou en tout cas l’évoque certainement. « De manière objective, si ce n’est pas le sens que tu veux donner, c’est extrêmement maladroit dans ce que tu connotes comme image. »

Selon lui, NA joue un jeu de cache-cache qui consiste à envoyer des signaux et à renverser le fardeau de la preuve par la suite. « Je pense qu’ils envoient des signaux très clairs, et ensuite, ils rétropédalent », soutient le professeur. « Mais dans le fond, ils atteignent leur cible. Ils recrutent ceux qui comprennent, puis ils vont berner les naïfs. »

 « La droite dure, manipulatrice, a toujours avancé comme ça », dit-il.

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