Rapper pour mieux se faire entendre: les jeunes, le hip-hop et la liberté d’expression

Longtemps boudés au Québec, le hip-hop et le rap représentent un moyen d’expression hors pair pour des jeunes montréalais. 

Souvent mal compris au Québec, le hip-hop, et plus précisément le rap, constitue pourtant un moyen pour plusieurs jeunes de prendre la parole selon leurs propres termes. Pivot discute avec des rappeurs montréalais et des experts pour parler de l’évolution du genre.

« Je m’en rappelle, c’était instantané. J’ai eu un sentiment d’appartenance. » C’est comme ça que l’artiste Waahli décrit ses premières expériences avec le hip-hop, aux alentours de l’âge de 15 ans, dans le quartier Saint-Michel où il a grandi. 

Celui qui a tout récemment gagné le titre de révélations Radio-Canada 2023-2024 souligne que la musique a toujours fait partie de sa vie, mais qu’avec le hip-hop des années 90, en écoutant les vers de groupes comme The Pharcyde, ça a été un coup de foudre. 

« La beauté de tout ça, c’est qu’il y a un côté éducatif et il y a un côté divertissement », explique-t-il. En apprenant un peu plus tard l’anglais et en décortiquant les paroles, l’artiste décrit comment il est devenu apparent que ce qui le rejoignait ce n’était pas seulement le son, mais aussi les valeurs divulguées à travers les rythmes et qui sont au fondement même du hip-hop : l’esprit de communauté, la résilience et la justice sociale. 

« Ça m’a marqué tout de suite de voir que tu pouvais mettre ta voix dans un micro et que ça devenait une chanson », raconte pour sa part le rappeur Raccoon, originaire du quartier Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles. « J’avais beaucoup de difficultés à l’école […] quand j’ai découvert ça, ça m’a montré que l’intelligence que j’avais allait pouvoir servir à autre chose. »

« Pour moi le rap c’était tout de suite une manière d’avoir un discours. C’est devenu un autre moyen d’exister. »

Raccoon

Il explique comment cette forme de création, à travers l’écriture et la musique, a joué un rôle thérapeutique dès l’adolescence. 

« Pour moi le rap c’était tout de suite une manière d’avoir un discours », résume-t-il. « C’est devenu un autre moyen d’exister. »

C’est un sentiment que partage aussi Ivoo. Arrivé depuis quelques années au Québec depuis la République démocratique du Congo, le jeune artiste de 23 ans a récemment lancé son EP, intitulé Probité. 

En sept chansons, il raconte son parcours de persévérance, qui implique de frayer son propre chemin, de tourner le dos à la stabilité financière d’une carrière en administration, et de miser le tout pour le tout pour réaliser ses rêves en musique. 

« Montréal c’est une belle ville, c’est pas pour rien que plein de monde vient ici », lance-t-il. « Il y a beaucoup d’opportunités pour réussir dans le milieu artistique. »

Mais si Montréal est une ville d’effervescence musicale, le hip-hop et le rap en ont souvent été exclus. 

Rap mal aimé

Avant Waahli, c’était Raccoon qui avait été nommé révélation de l’année Radio-Canada en 2020. Il est le premier rappeur à remporter ce titre. « C’est très tard », reconnaît Raccoon. « Surtout qu’il y en a eu plusieurs grands avant moi. »

« C’est clair que le Québec a [du retard] sur tout ce qui se passe dans la culture hip-hop », souligne aussi Waahli. 

« Oui, il y a du développement d’artistes qui se fait. Mais c’est clair qu’ici, il y a moins d’ouverture sur la culture hip-hop. On le sait ici, au gala de l’ADISQ, ça a pris du temps avant que le rap soit considéré. »

Waahli | Photo : Amanda Macchia

En 2002, l’absence du hip-hop à l’événement avait été dénoncée par le collectif 83, un groupe de rap originaire de Lévis. 

« On n’a aucun support médiatique », avait aussi déclaré le membre du groupe Francis Belleau, après avoir interrompu l’animation de Guy A. Lepage. « Il n’y a aucune radio qui supporte le hip-hop. »

À l’époque, le rap représentait une catégorie de nomination, mais n’était pas télévisé. Ce n’est qu’en 2017 que le Félix hip-hop a été remis lors du gala et il faudra attendre en 2019 pour que Loud soit le premier rappeur à remporter le prix d’artiste de l’année.

« Les grands médias ne veulent pas mettre de l’avant le rap parce que ça vient souvent du bas de la société », souligne Raccoon.

« Les médias ne montrent pas toujours le bon côté de la culture [hip-hop] », acquiesce aussi Waahli. « Le hip-hop a un mauvais nom, il a mauvaise réputation, il n’est pas vu comme l’art qu’il est. »

« Dès les années 90, surtout aux États-Unis, on parlait déjà de l’utilisation des paroles de rap dans des procès, parce que pour des procureurs, pour certains juges c’était comme un agenda, c’était comme le journal intime du rappeur », Patrick Goma-Maniongui, doctorant en sciences politiques à l’Université Laval et membre de l’Observatoire des profilages. 

« Les médias ne montrent pas toujours le bon côté de la culture [hip-hop]. Le hip-hop a un mauvais nom, il a mauvaise réputation, il n’est pas vu comme l’art qu’il est. »

Waahli

« Encore aujourd’hui, les gens ne font pas vraiment la différence entre gang de rue et groupe de rap », explique-t-il. « Pour plusieurs, un gang de rue, c’est un Noir qui s’habille en hip-hop. »

En 2012, suite aux demandes des policiers, une douzaine de bars montréalais s’étaient même engagés à ne plus faire jouer ce genre de musique. Une récente étude démontre par ailleurs que la présence policière dans les bars de la métropole demeure plus forte lors de soirées hip-hop. L’habillement hip-hop est notamment cité dans des outils de formation des policiers du SPVM comme un indicateur potentiel de criminalité. 

« C’est de l’art, c’est une façon de parler », rappelle Ivoo. « Il faut vraiment que les gens essaient de voir ça comme ça. »

Musique des opprimés

« La culture hip-hop ça n’a pas commencé en 2015 sur YouTube. » Lorsque Raccoon donne des ateliers de composition dans les écoles, dans les maisons de jeunesses, il s’assure que ses étudiants retiennent le contexte historique dans lequel le rap est né, au début des années 70, à New York, dans le Bronx. 

Que le rap ait émergé dans l’un des quartiers les plus démunis de la métropole, où vivait une population racisée et marginalisée, n’a rien d’anodin. 

Raccoon | Photo : Moncef Chiheb

« Déjà le rap va faire un positionnement très politique; il critique les systèmes dominants », explique Patrick Goma-Maniongui. Lorsque le gangster rap des années 80 et 90 apparaît, les rappeurs parlent de leurs vies « pour montrer qu’ils ont été contraints d’adopter ce genre de vie par un système qui ne leur donne pas les mêmes chances que les autres pour atteindre un but. »

« Le hip-hop c’était un véhicule qui permettait aux jeunes de s’exprimer, de parler de leurs réalités », explique aussi Waahli. « Cinquante ans plus tard, c’est la même chose. »

« Quand t’as un micro, t’es privilégié, parce que t’as une voix, tu peux donner une voix à ceux qui en ont pas », soutient-il. Selon lui, c’est important que cette tradition se perpétue et Ivoo est bien d’accord.

« Il y a une histoire derrière ça; c’est un mouvement », résume le jeune artiste. « C’est une musique des opprimés, c’est des gens qui réclament quelque chose. »

Un moyen d’expression

« On constate que très souvent, pour les jeunes, le hip-hop agit comme une force d’unification […], comme un dénominateur commun », souligne Patrick Goma-Maniongui.

Selon lui, il s’agit aussi d’un moyen pour plusieurs jeunes qui se sentent incompris, qui vivent des choses difficiles à l’école ou à la maison, de finalement pouvoir se faire entendre.

« Il y a des choses qu’on peut dire devant ses parents et d’autres qu’on ne peut pas, et lorsqu’on se retrouve dans une cabine d’enregistrement, on peut se permettre d’exprimer le fond du fond des tripes », explique-t-il. 

C’est là, selon lui, toute l’importance des ateliers d’écriture et de composition, comme ceux des Ateliers Speech, avec qui sont affiliés Waahli, et d’autres rappeurs comme Webster et KNLO. 

« On constate que très souvent, pour les jeunes, le hip-hop agit comme une force d’unification […], comme un dénominateur commun. »

Patrick Goma-Maniongui

Depuis l’âge de 19 ans, Raccoon donne lui aussi des ateliers d’écriture dans des maisons de jeunes, dans des écoles, dans des centres communautaires. Pour lui, ça a une valeur bien spéciale, parce que c’est en partie à ce genre d’initiative qu’il attribue son succès. 

« Je découle de ça, complètement », raconte-t-il. « Je n’ai pas appris tout seul, j’ai eu beaucoup de mentors. »

« Surtout pour les jeunes des minorités, le hip-hop dans les écoles a un effet très thérapeutique et peut aider à l’amélioration des résultats », précise Patrick Goma-Maniongui. « Le hip-hop, c’est de l’art, mais c’est aussi un médicament pour plusieurs. »

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