
La réconciliation avec les peuples autochtones attendra encore 42 ans
Seulement 13 des 94 recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation ont été réalisées depuis 2015.
Au rythme actuel, il faudra attendre l’an 2065 pour voir réaliser l’ensemble des appels à l’action énoncés dans le rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation en 2015. Sept ans d’efforts plus ou moins engagés de la part des institutions, mesurés chaque année par le Yellowhead Institute.
« Si nous étions dans un des chapitres d’un livre sur la réconciliation, nous en serions, aujourd’hui, à la première phrase de ce livre. » C’est une affirmation lourde d’accusations, prononcée à la veille de la Journée nationale pour la vérité et la réconciliation par la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations (APN), RoseAnne Archibald.
En 2015, la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) publiait son rapport final, dans lequel 94 « appels à l’action » ont été émis. L’ambition était prometteuse : renforcer la relation de nation à nation entre les allochtones et les peuples des Premières Nations, des Inuit et des Métis, dans une démarche d’éducation et de garantie des droits.
Mais sept ans après, les progrès vers la réconciliation se laissent attendre. Le Yellowhead Institute, un centre de recherche et d’éducation autochtone, recense, dans un rapport annuel, les appels à l’action réalisés. Le but : s’assurer, en mesurant les progrès et les limites concrets, de l’engagement institutionnel envers la réconciliation.
L’année passée, seulement deux appels à l’action ont été complétés. Au total, au fil des ans, treize appels à l’action ont été réalisés… sur 94.
Plus du tiers des recommandations sont bloquées ou n’ont tout simplement pas commencé à être mises en œuvre.
À ce rythme, le rapport est sans appel : il faudra attendre 2065, soit encore 42 ans, pour réaliser l’ensemble des recommandations.
En 2022, les appels 67 et 70 ont été réalisés. Ils demandaient à l’Association des musées canadiens et à l’Association canadienne des archivistes (ACA) d’entreprendre un examen national des politiques et des pratiques afin d’assurer leur conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). En octobre dernier, l’ACA dévoilait ainsi dix recommandations afin, entre autres, de démanteler le colonialisme dans les musées.
En 2021, 3 appels avaient été complétés, tous en juin, après la découverte de tombes anonymes sur le site de l’ancien pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique. Depuis, le 30 septembre a été établi comme Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada, mais encore huit provinces continuent de ne pas la reconnaître comme telle.
À ce jour, les réalisations sont majoritairement dues aux efforts des communautés autochtones, souligne la Dr Eva Jewell, directrice de recherche au Yellowhead Institute, professeure de sociologie à l’Université métropolitaine de Toronto et co-éditrice du dernier rapport annuel.
Les changements les plus profonds laissés de côté
Au 1er décembre 2022, plus du tiers (38 %) des recommandations étaient bloquées ou n’avaient simplement pas commencé à être mises en œuvre.
« Vous ne pouvez pas vous présenter sur la scène nationale en faisant toutes ces promesses, et ensuite ne pas les tenir. »
Dr Eva Jewell
Avec l’organisme à but non lucratif Indigenous Watchdog, Douglas Sinclair a lui aussi étudié les raisons de la lenteur de l’application des appels à l’action.
Dans le rapport, il remet en doute la volonté politique à s’attaquer aux véritables grands enjeux autochtones, comme la question des territoires et de l’autodétermination. Ainsi, les appels à l’action appelant à des changements structuraux manqueraient sensiblement de considération, analyse-t-il.
Des données inaccessibles au cœur du blocage
Les enjeux de transparence font aussi du surplace. Alors que les appels à l’action 2, 9, 19 et 30 réclament au gouvernement la publication annuelle de données dans des secteurs comme la santé et la justice, aucun n’a pour l’instant été entendu.
Si ces données sont maintenues confidentielles, c’est qu’elles iraient à contre-sens du discours gouvernemental, vantant ses progrès, selon Douglas Sinclair.
Un tel manque de transparence rend aussi impossible la mesure des progrès réalisés.
« Le temps est compté depuis plus de 150 ans. »
Dr Ian Mosby
« Vous ne pouvez pas vous présenter sur la scène nationale en faisant toutes ces promesses, et ensuite ne pas les tenir. Nous n’acceptons pas ça », dénonce la Dr Eva Jewell.
Pour le Dr Ian Mosby, professeur d’histoire à l’Université métropolitaine de Toronto et co-éditeur du rapport, le Canada n’est pas prêt « à joindre l’acte à la parole » et est « plus soucieux de limiter sa responsabilité » que de voir de réels changements.
Pour la cheffe de l’APN RoseAnne Archibald, les « bonnes intentions » du gouvernement ne suffisent plus face aux appels à une action pérenne émis par les communautés autochtones.
Une réconciliation possible un jour?
Alors que les recommandations finales de la CVR font face à un mur institutionnel bloquant leur mise en place, Dr Jewell et Dr Mosby vont jusqu’à poser la question d’un abandon de la « réconciliation ».
« Nous ne ferions pas ce travail si nous n’avions pas d’espoir », nuance Ian Mosby. « Cela dit, nous sommes réalistes : nous savons combien peu de travail a été accompli ces dernières années. Le temps est compté depuis plus de 150 ans. »