La guerre de l’impôt

L’inflation a parlé. Devant des prix trop élevés, trois partis politiques promettent des baisses d’impôt, leur contribution pour aider à boucler les budgets. Une bonne vieille recette qui a aussi le grand mérite d’attirer les votes.

Leurs propositions ressemblent cependant assez peu aux cadeaux fiscaux accordés pendant les dernières décennies par les différents gouvernements dans le monde. Les baisses d’impôts avaient servi à démanteler l’État social et à accorder, étant donné les déficiences qui en découlaient dans les services publics, une part toujours plus grande du marché des services à l’entreprise privée.

Elles contribuaient aussi à un grand accaparement des richesses par les personnes les plus aisées moins taxées. Par l’effet d’un éventuel ruissellement, disait-on, l’argent des puissants redescendrait jusqu’à la populace qui pourrait tendre les mains et cueillir la manne.

Nouvelles baisses d’impôt, nouvelles motivations

Les baisses d’impôts aujourd’hui sont justifiées bien autrement. Il faut d’urgence limiter les effets de l’inflation et compenser la diminution du pouvoir d’achat. Réduire la charge fiscale serait la contribution d’un gouvernement responsable et sensible aux difficultés de ses citoyen·nes, prétend-on.

D’ailleurs, les baisses d’impôt promises ne touchent pas tant les individus les plus aisés, comme dans les dernières années, mais elles ciblent, selon les intentions de la CAQ et du Parti libéral, les premiers paliers d’imposition (les libéraux prévoient même, pour compenser, une hausse d’impôt « pour les très riches », sans donner plus de détails). Ces baisses d’impôt sont rendues possibles par la bonne santé économique du Québec : avec nos coffres pleins d’argent, le moment serait particulièrement propice pour alléger le « fardeau fiscal » de la classe moyenne.

Elles ont cependant été accueillies avec scepticisme, y compris dans les médias du centre, ce qui contraste avec l’époque où elles étaient appréciées de façon quasi généralisée. Aujourd’hui, on en voit rapidement les inconvénients.

Rien ne nous dit que l’actuelle situation de l’économie se perpétuera et que le gouvernement du Québec continuera à profiter de coffres aussi bien remplis. La flambée des prix fait aussi hausser les dépenses gouvernementales et affecte le budget de l’État.

Et cela, à un moment où nous savons que les dépenses publiques devront être particulièrement élevées : pour soutenir la transition écologique, pour améliorer nos transports publics, pour entretenir et améliorer nos réseaux de la santé et de l’éducation, tous deux en piètre état, entre autres.

Ainsi, baisser les impôts et répondre en même temps à des besoins essentiels pour la population revient à résoudre la quadrature du cercle : personne ne voit comment un gouvernement pourra y arriver. Le danger de cette mesure est d’autant plus grand qu’une fois les baisses d’impôts établies, elles auront des effets à long terme et rendront très difficile l’implantation de nécessaires hausses d’impôts (ne serait-ce que pour revenir au statu quo), si on veut éviter un effondrement du soutien étatique.

Offrir une autre vision de la fiscalité

Québec solidaire se distingue des autres partis par des ambitions plus élevées. Le parti a choisi de se lancer dans une grande réforme de la fiscalité inspirée par les demandes répétées des mouvements sociaux (dont celles de la Coalition Main rouge). Sa stratégie consiste à baisser les taxes à la consommation, considérées comme régressives (elles grugent davantage le budget des personnes à faible revenu), à hausser le taux d’imposition des grandes entreprises et à accentuer les mesures progressives, en proposant notamment une taxe sur le capital.

Ses promesses ont engendré de fortes réactions. Certain·es analystes ont fait remarquer que les taxes à la consommation n’étaient pas vraiment régressives, si on tient compte du fait que les riches consomment davantage et achètent des produits plus chers.

La définition d’« ultra-riche », selon QS, incluant des personnes ayant des actifs nets à partir de plus d’un million $, a suscité beaucoup de grogne. Admettons tout de même que son projet, qui consiste à donner 1000 $ à l’impôt pour chaque million $ accumulé (après le premier million $, gracieusement exempté), ne mettra personne dans la dèche et sera peu perceptible dans la colonne des dépenses des plus nantis.

Chose certaine, la fiscalité est un enjeu trop sérieux pour qu’on le détache d’une vision d’ensemble concernant les politiques globales de l’État, comme semblent le faire les partis qui proposent des baisses d’impôts.

L’opportunisme politique et l’esprit clientéliste avec lesquels leurs promesses ont été faites soulèvent de sérieuses craintes.

Ces partis nous placent une fois de plus devant le faux choix entre l’enrichissement individuel et l’intérêt collectif : il est clair que personne ne sera gagnant à s’engager dans un avenir fragilisé à cause du manque de ressources communes.

Claude Vaillancourt est président d’ATTAC-Québec.