La résidence pour aîné·es Mont-Carmel se transforme peu à peu en tour d’habitation ordinaire, malgré la lutte juridique en cours pour préserver les services et résister à l’éviction. La situation inquiète autant le comité des résident·es que les personnes nouvellement arrivées lorsqu’elles apprennent qu’elles se retrouvent dans un conflit entre le propriétaire et les locataires de la RPA.
Depuis le 1er juillet, de nouveaux locataires, qui ne sont pas des aîné·es, ont intégré la résidence privée pour aînés (RPA) certifiée située sur le boulevard René-Lévesque, à Montréal. Et ce, même si un comité de résident·es livre actuellement une bataille judiciaire contre le nouveau propriétaire, Henry Zavriyev, pour préserver le statut de RPA de l’immeuble.
Rappelons qu’en janvier dernier, les résident·es du Mont-Carmel avaient reçu un avis annonçant la fin des services de RPA au 31 juillet, avec une augmentation de loyer en prime.
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Or, depuis le début de juillet, les résident·es du Mont-Carmel ont noté l’arrivée de nouveaux locataires dans l’édifice. Des personnes nouvellement arrivées au pays, pour la plupart, et qui ignorent la situation, selon les observations de Pivot et des aîné·es rencontré·es sur place.
Une centaine de logements ont été libérés par des personnes aînées qui ne pouvaient ni accepter les nouvelles conditions ni participer au processus de contestation judiciaire, selon Suzanne Loiselle du comité des résident·es du Mont-Carmel.
Des locataires trouvés sur Facebook
« On a trouvé l’annonce de logement sur Facebook », dit Daniel*, 39 ans, originaire du Mexique. De la lecture de l’annonce à la visite de l’appartement, en passant par les interactions avec le compte Facebook qui l’avait publié, tout s’est déroulé dans sa langue maternelle, l’espagnol.
« Vous savez, il y a très peu de personnes âgées dans cet immeuble… », déclare Daniel, ignorant visiblement qu’il s’agit ici d’une résidence pour aîné·es.
Sa conjointe, Monica, affirme avoir eu des échanges avec des familles et des gens du Mexique, du Salvador et de la Colombie, ainsi qu’avec des francophones et des anglophones dans l’immeuble.
Monica et Daniel sont au Québec grâce à un visa de visiteur, avec leur fille et sa grand-mère. Ils ont signé un bail d’un an pour un 3 et demi à 1200 $ par mois.
Un autre couple, des jeunes réfugié·es originaires du Mexique, a pour leur part signé un bail à 1000 $ par mois pour un 2 et demi. « Nous avons cherché un endroit où vivre, c’est tout… », explique Alberto*, qui a appelé le numéro fourni par un ami et a signé le bail à la résidence.
Pivot a trouvé des annonces proposant des appartements à louer dans l’immeuble du Mont-Carmel, diffusées dans plusieurs groupes Facebook destinés à un public latino-américain. Dans deux de ces groupes, d’autres logements appartenant à Henry Zavriyev étaient affichés. Toutes étaient publiées par le même compte Facebook. La personne qui anime ce compte n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.
Ce serait une employée de Leyad, une entreprise de M. Zavriyev, qui serait en charge de trouver ces nouveaux locataires, selon une personne qui travaille dans l’immeuble et qui a accepté de nous parler sous le couvert de l’anonymat. Leyad n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.
Des résident·es dans l’incompréhension
Rencontrées dans un appartement du 12e étage, des membres du comité de résident·es du Mont-Carmel ont fait part de leur incompréhension et de leur inquiétude face à l’arrivée de nouveaux et nouvelles locataires.
« Ils sont parachutés ici, mais ils ne savent pas trop où ils habitent », constate Constance Vaudrin. Cette dernière a discuté avec une nouvelle arrivante pour lui dire qu’il s’agissait d’une maison pour aîné·es. « Elle était surprise », rapporte-t-elle.
« On ne veut pas que ça soit interprété comme une lutte contre l’arrivée des migrants, c’est juste qu’on veut savoir c’est quoi le projet qui est derrière ça », précise Suzanne Loiselle.
C’est que certains changements rendent déjà la vie plus difficile pour ces résident·es. Depuis la réception de l’avis d’éviction par les résident·es, le restaurant et le salon de coiffure ont fermé leurs portes. L’ancien local du dépanneur est vide, son propriétaire n’ayant pas renouvelé le bail.
Les logements permis dans une RPA
Ces locations sont permises, affirme par courriel Marie-Claude Lacasse, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux, pourvu que le propriétaire s’assure que plus de la moitié des unités sont occupées par des personnes de 65 ans et plus.
De plus, une fois donné le préavis de cessation des activités de RPA, l’exploitant peut louer ses unités locatives vides à une clientèle qui n’est pas aînée, sans avoir à maintenir son offre de services RPA pour les nouveaux locataires, explique Mme Lacasse.
Le propriétaire demeure cependant responsable de maintenir les services inscrits au bail des locataires ainé·es jusqu’à la fin du délai, rappelle la porte-parole. Ce délai est de six mois. La certification RPA du Mont-Carmel viendra à échéance le 31 juillet prochain, à moins que le tribunal n’ordonne son renouvellement.
Les services minimaux nécessaires pour le maintien d’une certification comme celle du Mont-Carmel sont un service de sécurité de base ainsi qu’un service de loisirs, selon Me Manuel Johnson, qui représente les résident·es. « Les gens qui ont choisi cet endroit l’ont fait parce qu’ils avaient besoin de ces services », dit-il. « Nous voulons que les droits de nos client·es soient respecté·es jusqu’au jugement. »
Les résident·es ont interpellé la Cour Supérieure pour faire respecter l’acte de vente de l’immeuble, qui stipulait que la vocation du Mont-Carmel serait préservée par M. Zavriyev.
D’ici là, les résident·es demandent à la Cour d’ordonner le maintien des services et le renouvellement de l’accréditation de la RPA de façon temporaire, jusqu’au jugement final. Cette demande sera entendue ce vendredi 22 juillet au Palais de justice de Montréal.
La directrice de la résidence Mont-Carmel, Mme Maria Esposito, n’a pas retourné nos appels. Nous n’avons pas non plus obtenu de réponses aux messages laissés sur la boîte vocale de Leyad.
* Les noms de certaines personnes ont été modifiés afin de les protéger contre des représailles.