
Liberté académique : la communauté universitaire s’oppose à l’ingérence de l’État
Le gouvernement ne doit pas intervenir dans les conflits sur les campus, mais laisser la communauté établir ses propres mécanismes, croient les enseignant.es et les étudiant.es.
Les syndicats enseignants et les associations étudiantes s’opposent en forte majorité à une loi qui dicterait précisément les normes de la liberté académique. C’est ce que révèle l’examen des mémoires déposés dans le cadre de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire, dont le mandat est de faire des recommandations au gouvernement pour « déterminer le meilleur véhicule pour reconnaître » la liberté universitaire.
Cela tranche avec les résultats d’un sondage réalisé par la Commission, selon lequel plus de la moitié du personnel enseignant serait en faveur de l’instauration de « normes nationales » fixant les « dispositions de protection de la liberté universitaire ». Le sondage a d’ailleurs été largement critiqué pour ses questions jugées ambiguës et biaisées, mais aussi parce qu’il a été conçu et envoyé aux enseignant.es sans que les syndicats n’aient eu leur mot à dire.
Contre l’instrumentalisation politique
Plusieurs syndicats craignent que le gouvernement ne profite d’une loi sur la liberté académique pour imposer ses propres priorités politiques.
L’Union étudiante du Québec (UEQ) s’oppose ainsi à toute légifération sur le sujet. En entrevue, son président, Samuel Poitras, qualifie de « paradoxale » l’idée de laisser le gouvernement délimiter les frontières de la liberté à l’université.
« La liberté académique, c’est d’abord la nécessité de se distancer de l’État. Tout le monde sait ça. »
Samuel Poitras, président de l’UEQ
« On n’est pas chauds à une trop grande intervention de l’État », affirme aussi Christine Gauthier, vice-présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ). Dans son mémoire, la FNEEQ met en garde contre une « instrumentalisation » du débat « à des fins politiques, voire partisanes et populistes ».
À cet effet, le syndicat cite en exemple une politique adoptée en 2018 par le gouvernement Ford, en Ontario : celle-ci impose des « normes minimales » en matière de liberté d’expression sur les campus, impliquant en particulier des mesures disciplinaires contre les étudiant.es dont les « protestations perturbatrices » constitueraient une menace. La FNEEQ évoque aussi des politiques américaines interdisant l’enseignement de certaines théories relatives à la justice sociale ou aux enjeux raciaux, qui créeraient de la « division » dans la société.
Pour une démocratie universitaire
Pour les groupes opposés à des balises d’État, chaque université devrait plutôt se doter de ses propres principes et mécanismes en matière de liberté académique. Certaines associations approuveraient une loi si elle se limitait à forcer les établissements à adopter de telles politiques internes.
Une loi-cadre devrait ainsi rester « assez générale » pour « permettre à chaque université d’y aller selon sa propre couleur, en tenant compte de ses propres enjeux », insiste Vincent Beaucher, président de la Fédération de la recherche et de l’enseignement universitaire du Québec (FREUQ-CSQ).
Dans chaque établissement, estiment les syndicats, les politiques devraient être établies par des consultations démocratiques au sein de la communauté universitaire. Ces discussions devraient inclure non seulement les professeur.es, mais aussi les chargé.es de cours, les étudiant.es ainsi que le personnel de recherche et de soutien.
Selon la plupart des associations, la discussion collégiale constitue aussi la meilleure solution en cas de litiges, par exemple lorsque des étudiant.es désirent critiquer des propos tenus par des enseignant.es. Elles proposent la mise en place d’espaces de médiation ou de comités de pairs permettant de résoudre les conflits. Ceux-ci ne doivent pas être résolus par des mesures punitives de la part de l’administration ou de l’État.
« Les autorités ne doivent sévir ni contre les professeurs, ni contre les étudiants. »
Vincent Beaucher, président de la FREUQ-CSQ
Quelques associations d’enseignant.es, comme la Fédération des professionnèles (FP-CSN) et la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), prennent plutôt position en faveur d’une loi définissant un peu plus clairement la liberté académique. Toutefois, les balises promues par ces groupes visent essentiellement à prémunir le personnel enseignant contre les sanctions des administrations universitaires, notamment en protégeant le droit de critiquer les établissements.
La Commission sur la liberté universitaire doit déposer son rapport d’ici le mois de décembre.