Sois queer et tais-toi : réponse à Mario Girard
Réaction à la chronique de Mario Girard, « Une erreur qui fait mal », parue dans La Presse au sujet de l’organisation et l’annulation du défilé de la Fierté cette année à Montréal.
Je n’étais pas impliqué dans l’organisation du défilé de la Fierté et je partage les critiques et les inquiétudes de M. Girard concernant l’annulation de l’évènement. Par contre, je suis en profond désaccord avec ses critiques sur les prises de position politiques du comité d’organisation. « Il y a lieu de s’interroger sur ce que sont en train de devenir ces organisations qui endossent maintenant une tonne de causes », écrit le chroniqueur.
Parce que la Fierté a toujours été politique
Un des slogans scandés lors d’une des marches impromptues qui ont remplacé le défilé était « Pride was a riot, not a parade » (« la Fierté était une émeute, pas une parade »). Ce slogan fait référence aux émeutes de Stonewall à New York en 1969, un moment charnière du mouvement LGBTQ+, où la communauté queer de New York s’est tenue debout contre les violences policières qu’elle subissait.
La première marche de la Fierté à Montréal a eu lieu en 1979, à une époque où les diversités sexuelles et de genre étaient similairement réprimées. Ces violences policières ont culminé avec le raid au bar Sex Garage en 1990. Le raid, parfois identifié comme le « Stonewall de Montréal », a rendu visible à tou·tes le besoin d’une action politique pour protéger les droits des diversités sexuelles et de genre. Il a mené à la fondation de toute une gamme d’organismes et d’initiatives, certains étant toujours actifs de nos jours.
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, mais on oublie rapidement que l’article 159 du Code criminel, qui imposait des restrictions spéciales aux personnes homosexuelles, n’a été finalement abrogé qu’en 2019.
Et que certains droits des personnes trans, gagnés de haute lutte par le passé, ont été remis en question avec le projet de loi 2 introduit par la CAQ en 2021. Le PL2 a finalement été amendé avant d’être adopté, mais seulement à la suite d’une nouvelle lutte politique qui a forcé la CAQ à reculer.
Parce qu’il reste encore beaucoup de combats à mener
M. Girard peut se plaindre des « couleurs de Benjamin Moore » qui s’ajoutent régulièrement au drapeau de la Fierté, mais il est important de se rappeler que chaque couleur représente une communauté marginalisée.
Chaque couleur représente un combat, une lutte menée ou encore à faire. Chaque couleur vient avec ses enjeux sociaux et, souvent, politiques.
Mais il y a aussi toute une conjoncture mondiale. Les droits des personnes LGBTQ+ sont toujours mis à mal dans bien des pays. Certains pays connaissent même un recul important des droits des personnes LGBTQ+, comme la Russie ou la Hongrie. Et qui peut ignorer ce qui se passe aux États-Unis? Plusieurs États américains viennent de passer ou sont en train de passer des lois très sévères contre les membres de la communauté LGBTQ+.
Pour donner un exemple anecdotique : une amie habitant la Floride m’a rapporté que toutes les personnes trans qu’elle connait quittent ou sont en train de quitter l’État. Les dérives autoritaires de certains États américains ne sont pas qu’une source d’inquiétude : c’est une question de vie ou de mort pour beaucoup de gens. Et des endroits comme Montréal sont alors vus comme un refuge, pour bien des personnes qui fuient la répression de leur droit d’exister.
Et il ne faut pas oublier non plus que la propagande haineuse américaine ne s’arrête pas aux frontières. Les mêmes groupes qui forcent l’abolition du droit à l’avortement aux États-Unis sont aussi actifs au Canada.
Il n’est donc pas hors de question que certains groupes qui forcent l’abolition des droits des personnes LGBTQ+ aux États-Unis fassent la même chose ici au Canada.
Et c’est sans compter les attaques commises par les extrémistes locaux, que ce soit quand des drag queens font la lecture dans les bibliothèques ou directement dans le village gai.
Fier·es de vouloir changer le monde
Nier le passé politique de la Fierté et la pertinence de toujours promouvoir des positions politiques en 2022, c’est nier la nature même de la Fierté.
La Fierté, c’est un désir de changer le monde, de créer un monde nouveau. Un monde plus accueillant pour les minorités sexuelles et de genre.
Ou, vu la situation actuelle, de pouvoir au moins créer des refuges face à un monde de plus en plus hostile, de plus en plus dangereux pour toutes les minorités.
Et je crois que la jeunesse est particulièrement sensible à ces enjeux. Les jeunes queers sont plus connecté·es et font des liens avec leurs semblables ailleurs dans le monde. Iels sont donc témoins de la détérioration de la situation en dehors du Canada.
Et les jeunes sont aussi moins intéressé·es à regarder une parade où défilent des corporations qui se peinturent aux couleurs de l’arc-en-ciel ici, mais qui refusent de le faire en Russie ou au Moyen-Orient. Une large partie de cette jeunesse désire donc que le discours politique revienne au cœur de la Fierté, comme il l’était dès les débuts.
Les positions idéologiques et politiques sont intrinsèques aux activités de la Fierté. Avoir une Fierté politique en 2022, ce n’est pas qu’un objectif souhaitable, c’est une nécessité.
Mathieu Lavallée est volontaire à la bibliothèque anarchiste DIRA. Comme beaucoup de personnes ayant battu de la casserole en 2012, il est resté impliqué dans le milieu militant montréalais par la suite.