Entrevue

Des travailleuses du sexe dénoncent la pièce La paix des femmes

Contrairement à ce que présente la pièce, certaines femmes considèrent le travail du sexe comme une expérience enrichissante et positive.

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Dans une lettre ouverte parue le 25 juillet dernier, la militante du Comité autonome du travail du sexe Maxime Holliday critiquait fortement la pièce de théâtre La paix des femmes de Véronique Côté, jugeant qu’elle stigmatisait son métier en la présentant comme un dernier recours pour des femmes démunies et victimisées. Nous avons discuté avec deux travailleuses du sexe des représentations véhiculées par la pièce ainsi que du discours public misérabiliste autour de leur profession.

Lorsque Bianca*, qui travaille comme escorte depuis quatre ans, a reçu une copie de l’essai écrit par Véronique Côté pour accompagner sa pièce de théâtre, elle a eu des étincelles aux yeux. « J’ai vu que c’était un texte qui se disait neutre sur le travail du sexe. J’étais vraiment contente ! » s’exclame-t-elle.

Mais un survol rapide de l’essai a très vite dégonflé ses espoirs. « Ce n’était pas du tout neutre. C’était alarmiste et dommageable envers la communauté du travail de sexe », explique-t-elle.

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« J’ai commencé ça de mon propre gré »

La pièce met en scène une confrontation entre Isabelle, une enseignante d’études féministes à l’université, et son ancienne étudiante Alice. Elle est déjà publiée chez Atelier 10 et sera à l’affiche du 13 septembre au 8 octobre au Théâtre La Bordée, à Québec.

Le personnage d’Isabelle, présentée comme pro-travail du sexe, affirme que « c’est tout ce qu’il […] reste » à ces femmes. Ce genre de commentaire offense grandement Bianca. « J’ai commencé ça de mon propre gré, sans passer par personne, en tant que travailleuse autonome. Les propos de ce personnage sont vraiment défaitistes », affirme-t-elle.

Elle croit fermement que le travail du sexe, comme n’importe quel emploi occupé par beaucoup de personnes à statut précaire – tel que le travail agricole et le travail domestique – doit être choisi librement.

« Si tu as envie de faire du travail du sexe, tu devrais avoir droit à de l’encadrement et du soutien dans ta carrière. Si tu es réduit à faire ça par défaut, on a un problème de société beaucoup plus grand que le travail du sexe », affirme l’escorte.

« En tant que société, on doit soutenir chacun et chacune à faire l’emploi qu’iels veulent en offrant un accès facile à l’éducation et aux garderies, de l’aide alimentaire, des logements subventionnés. Si quelqu’un est réduit au travail du sexe ou à n’importe quel autre emploi comme dernier recours, on doit s’attaquer aux problèmes sociaux qui ont créé cette marginalisation, pas au travail du sexe. »

Dans la pièce, après le décès de sa sœur Léa, le personnage d’Alice demande des comptes à Isabelle. Léa est décédée d’une overdose six mois après avoir commencé à se prostituer dans un réseau de proxénétisme. Alice croit que les idées féministes d’Isabelle ont poussé sa soeur vers la prostitution.

Cette tendance à confondre le travail du sexe et le trafic humain, fréquente dans la sphère publique, rend Anna*, une danseuse érotique, très mal à l’aise. « Je ne crois pas que le trafic humain est limité au travail du sexe. Et si ça se produit plus souvent dans cette industrie, c’est parce que la société déshumanise constamment les travailleurs et travailleuses du sexe », explique-t-elle.

« S’il y avait plus de protections pour ces professionnel·les, ces choses-là n’arriveraient pas autant. Mais on préfère prétendre que le travail du sexe n’existe pas, ce qui cause encore plus de violence. »

Anna insiste : ce n’est pas tout le monde dans l’industrie du sexe qui est victime de trafic et tou·tes ne vivent pas de la violence au travail. « Personne ne m’a forcé à le faire. Mes clients sont très gentils », affirme-t-elle.

La danseuse soutient qu’elle voit souvent des veufs, des aînés ou des personnes gênées qui ne se sentent pas la capacité émotionnelle d’être en couple ou de faire des rencontres. Selon elle, ils sont très reconnaissants du service qu’elle leur offre.

Bianca et Anna souhaitent toutes deux voir une représentation médiatique plus nuancée du travail du sexe. « Je n’aime pas que ce qu’on voit dans les médias sur le travail du sexe ne soit pas fait par ceux et celles qui font partie de cette industrie », dit Anna. « J’aimerais voir des récits créés par des travailleurs du sexe, qui représentent la réalité sans la glorifier ou la stigmatiser. »

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Un choix de carrière qui améliore des vies

Il y a quatre ans, Bianca était étudiante en sciences infirmières à temps plein et travaillait aussi 32 heures par semaine dans un hôpital pour subvenir à ses besoins. Épuisée par cet horaire, elle a commencé à faire du travail autonome comme escorte.

« Je suis passée d’un horaire de travail de 32 heures par semaine à un horaire de quelques heures par mois », affirme la jeune étudiante, qui travaille maintenant pour une agence d’escorte depuis un an. « J’ai pu me concentrer sur ma santé mentale, mes études, et mes loisirs. J’ai pu trouver un équilibre social et émotionnel dans ma vie. »

Durant ses deux dernières sessions, Bianca a réussi à n’avoir que des A tout en suivant six cours à la fois. Alors que ses camarades de classe devaient gérer de longues heures de travail à l’hôpital qui entravaient leur travail scolaire, elle pouvait être à jour dans ses lectures, participer en classe et bien se concentrer.

Elle n’est pas la seule étudiante à avoir eu une expérience positive dans l’industrie du sexe. Lorsqu’Anna avait 20 ans et complétait son baccalauréat, elle a échangé son emploi dans le commerce de détail pour un emploi de danseuse dans un club.

« C’était un boulot beaucoup plus amusant. Je faisais de la performance artistique au travail, ce qui est une de mes passions », témoigne-t-elle. « Je suis extravertie et j’ai adoré rencontrer plein de gens de différents horizons au club. »

Anna appréciait des conditions de travail beaucoup plus saines comparées à son ancien emploi : un horaire plus flexible, une plus grande facilité à prendre des jours de congés lorsqu’elle ne se sentait pas bien, une plus grande habileté à mettre des limites aux clients désagréables et un revenu bien plus élevé.

Tout comme Bianca, ses notes à l’école se sont beaucoup améliorées après qu’elle a commencé à danser.

Son expérience dans le travail du sexe a été tellement positive qu’Anna a décidé de continuer à œuvrer dans le domaine à temps partiel après s’être trouvé un emploi à temps plein à la fin de ses études. « Durant la pandémie, je me suis tournée vers ce que je pouvais faire en ligne », explique-t-elle. « J’ai filmé du contenu pornographique, j’ai été cam girl, j’ai fait des spectacles virtuels avec une troupe de danseuses qui ne pouvait plus travailler dans les clubs. »

Aujourd’hui, quand elle n’est pas à son autre emploi, Anna se produit toujours en spectacle avec la même troupe un peu partout à Montréal. Elle compte continuer pendant longtemps.

* Les noms ont été changés pour protéger l’identité des intervenantes.

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