On l’attendait depuis quelques semaines. Des ballons d’essai avaient été envoyés question de jauger si des mesures plus contraignantes envers les non-vacciné·es sauraient apaiser la colère populaire face à un nouveau couvre-feu. Mais quelle serait la mesure exactement ? Le couperet est tombé mardi lors de la conférence de presse. Québec songe finalement à imposer aux non vacciné·es une contribution financière dont les modalités sont extrêmement vagues.
Pour paraphraser les propos du premier ministre lors de l’annonce c’était le moins qu’on puisse faire: après tout comment pourrait-on laisser la société entière être « prise en otage » par des personnes irresponsables, mal informées, adeptes des théories de complot les plus loufoques, ignares et fières de l’être.
Les « non-vacciné·es »: une tactique de diversion
Il faut avouer que c’est toujours utile pour un pouvoir politique en temps de crise de désigner une catégorie de souffre-douleurs. Depuis le début de la pandémie on a eu notre lot : le gouvernement fédéral, les syndicats, les migrants du chemin Roxham, les juifs hassidiques etc. Mais la catégorie fantasmagorique et fourre-tout des « non-vacciné·es » remporte assurément la palme. Les non-vacciné·es, une catégorie dont les contours sont aussi flous que ceux de la fameuse contribution financière qui leur serait demandée, est le récipient de choix pour y déverser toute notre haine, tout notre ras-le-bol pandémique.
La tactique caquiste de diversion consiste à souffler sur les braises pandémiques, monter en épingle les non-vacciné·es comme défouloir collectif pour faire oublier une gestion qui semble relever plus de l’improvisation qu’autre chose ces dernières semaines, et certains diront même depuis le début de la pandémie. Il ne faut pas oublier que, alors que les premiers cas du variant Omicron furent détectés en Afrique du Sud et en Europe, notre gouvernement annonçait en fanfare la fermeture du centre de vaccination du Palais des Congrès, un des plus gros au Québec. La COVID était finie, la gestion de notre gouvernement triomphale… ou pas…
Que c’est pratique de créer une tempête médiatique sur une « contribution financière » alors que la coroner Géhane Kamel examine la gestion provinciale de la COVID-19 dans les CHSLD. C’est pratique de tirer à boulets rouges sur les non-vacciné·es quand on sait que les tests rapides – maintenant de l’or en boîte – ont langui pendant des mois dans des entrepôts. Et quand on sait qu’en juillet, le Québec n’avait utilisé que 4% des plus de 4 millions de tests rapides reçus par le gouvernement fédéral. Aujourd’hui insatisfait de la lenteur du gouvernement fédéral, Québec annonçait la commande de 95 millions de tests rapides supplémentaires.
Les stratèges républicains Karl Rove ou Dick Cheney ont perfectionné cette méthode que l’on appelle changing the channel en anglais qui consiste à rediriger les critiques et la colère populaire vers une cible de prédilection.
La responsabilité individuelle des non-vacciné·es: un camouflage
Au-delà d’une simple tactique de diversion, changing the channel a toujours une portée politique plus large. En parlant de responsabilité individuelle des « non-vaccinées » on ne parle pas de 40 ans d’austérité et de coupures dans notre système de santé.
La crise dans les CHSLD? La responsabilité individuelle de quelques « pommes pourries ». Il ne faudrait surtout pas croire que ça serait une conséquence de la privatisation du secteur. L’écroulement du système de santé? La faute aux non-vacciné·es, surtout pas aux coupures en santé.
Il existe une autre expression anglaise qui dit don’t blame the game, blame the player. Mais que se passe-t-il quand la source même de notre malheur ce sont les règles du jeu néolibérales imposées par nos dirigeants depuis maintenant plusieurs décennies?
Le fameux 10% de non-vaccinées est l’arbre qui cache une forêt d’autres pourcentages: le pourcentage de coupures budgétaires en santé, le pourcentage de lits d’hôpitaux délaissés, le pourcentage de travailleuses et travailleurs dans le domaine de la santé contraints de lâcher leur profession faute de conditions dignes.
La contribution financière demandée aux personnes non-vaccinées est la véritable démonstration du vide intersidéral du projet politique de François Legault et compagnie: aux problèmes engendrés par la diète néolibérale, nous vous prescrivons plus de néolibéralisme.
En termes médicaux demander une contribution financière aux non-vacciné.e.s c’est un peu comme la pensée magique de la saignée, jadis une pratique médicale courante qui était plus souvent que le contraire le coup de grâce pour les patients.
C’est justement l’individualisation, l’atomisation de la société, projet ou plutôt anti-projet politique du néolibéralisme, qui est à l’origine de notre crise actuelle. C’est d’ailleurs ce que les « anti-vaxx », la frange militante anti-vaccination, érigent en valeur suprême: la liberté individuelle et son corollaire la responsabilité individuelle. Vaincre le feu avec le feu? Quand on est pyromane, il faut croire qu’on voit tout comme combustible potentiel.
Les non-vacciné·es comme cheval de Troie ?
Dans ce grand brouillard covidien, il ne faut pas perdre de vue que la CAQ dans ses attaques contre les syndicats et leurs conventions collectives, contre la prise en considération des effets néfastes et différenciés du couvre-feu sur les femmes, les minorités visibles, les sans-abris etc. avance en guise de réponse pandémique un projet politique, profondément individualiste et néolibérale. La pandémie devient alors le laboratoire dans lequel il est possible de disséquer les derniers restants de ce que les auteurs Laval et Dardot ont appelé le « commun » et de passer à la moulinette notre système de santé publique, gratuit et universel.
Sous couvert de la crise sanitaire c’est une véritable thérapie de choc, pour reprendre l’expression de Naomi Klein, que la CAQ nous réserve. Utiliser le choc des vagues successives de la pandémie pour préparer le terrain à un remaniement tranquille de la société québécoise, en filigrane, presque subliminal. En faisant l’adéquation entre mesures ultra-libérales et une fameuse opinion publique québécoise consensuelle, opinion publique bizarrement calquée sur un fil de commentaires sur Facebook, tendant toujours de plus en plus à droite de l’échiquier politique.
Après 22 mois, on se demande toujours quelles ont été les mesures sociales concrètes mises en place par le gouvernement de François Legault pour aider les membres les plus démunis de la société québécoise. Plutôt que de mettre en œuvre des programmes pour venir en aide aux populations frappées de plein fouet par la pandémie, le gouvernement de François Legault a blâmé la PCU, une des raisons de la pénurie de main-d’œuvre d’après lui. Après tout dans le manuel du parfait néolibéral toute prestation « nuit gravement à la responsabilité individuelle » et donc à la société tout entière. Dans la conception du monde de la CAQ qu’est-ce que la société sinon un gros ramassis d’individus et leurs responsabilités respectives? Comme Thatcher disait « la société ça se trouve où ça? »
L’austérité est un choix de classe
L’effondrement de notre système de santé n’était pas un choix individuel, c’était un choix de classe, un choix fait en toute connaissance de cause. Avec chaque coupure, chaque frais d’utilisation de plus, la côte de crédit et la côte auprès des institutions financières du Québec montait. La finalité téléologique de la société québécoise se limitait à ça. Un Québec lean, un Québec moderne avec une « saine » gestion des dépenses. Le Québec comme le système de santé devaient être gérées comme une entreprise nous disait la classe d’entrepreneurs éclairé.e.s qui nous dirige. Après tout pour cette classe entrepreneuriale seul le marché peut assurer une « vraie » efficacité.
À travers cette crise on s’est rendu compte que le néolibéralisme était pas mal une version édulcorée du Fyre festival version Private Club 111: des promesses grandioses et beaucoup de bling-bling, pour un plan d’affaires qui mène ses passagers et passagères à la ruine. Le projet de société de la CAQ, n’en est pas un et c’est justement ça le problème. La responsabilité individuelle, le tombeau de nos projets collectifs.
Il est grand temps de se doter collectivement des moyens de rebâtir nos institutions québécoises, notre système de santé publique universel et gratuit pour tous sans discrimination et par ce biais une société québécoise digne de ce nom. Ça urge. Fanon disait « chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » La voilà en cette heure de crise la seule responsabilité collective qu’importe!
Niall Ricardo est étudiant au baccalauréat en droit à l’UQÀM et titulaire d’un baccalauréat en sociologie et science politiques. Il est membre de Voix Juives Indépendantes et militant syndical basé à Mooniyang/Tiohtià:ke/Montréal.