J’étais acquise à la cause du film Don’t look up, et ce avant même de l’avoir vu. Après tout, en « bonne environnementaliste », je suis évidemment contre la désinformation qui pollue les débats environnementaux et les pressions injustes subies notamment par des climatologues. Mais des discussions, notamment avec des Twitteriens (oui, j’assume) et des scientifiques, ont nuancé mon enthousiasme.
Faut-il le rappeler, dans ce film, une comète tueuse de planète joue le rôle (vraiment ingrat) de la métaphore du réchauffement climatique, comme l’explique notamment l’acteur « environnementaliste » Leonardo DiCaprio (qui se permet pourtant les faramineux gaz à effet de serre d’un voyage de tourisme spatial, mais bon… passons ?)
Ce film a tout pour me plaire. Grâce à lui, on reparle enfin du réchauffement climatique dans l’espace public. L’attention générale est sans commune mesure par rapport aux chuchotements lors de la sortie du 6ème rapport du GIEC… en tout cas à en juger par la science imprécise des #dontlookup indignés qui pullulent sur Twitter et Facebook.
Personnellement, j’ai écouté ce film comme on lit une fable de Jean de La Fontaine : c’est une satire qui met à nu les relations dans notre société. La maladie du court-termisme politique face à un enjeu multigénérationnel, la recherche du buzz médiatique détaché de l’intérêt public, la croisade du profit à tout prix de mégalomanes milliardaires et, évidemment, la quête impossible d’experts, mal outillés pour faire des révélations dans un monde incapable de les entendre.
Allez, avouons-le : ça fait du bien au biais de confirmation, pas vrai ? C’est ce biais cognitif qui adore quand on confirme ce qu’on croit déjà savoir. Alors, on aime lorsque des stars d’Hollywood comme Léo frappent là où ça fait mal aux autres : lorsque sont moqués leur inconscience face à une menace insoutenable, leur manque d’écoute face aux experts, leurs enjeux puérils alors que le monde court à sa perte. Tiens, prends ça, maudite figure allégorique d’un système malade qui nous pousse vers l’extinction de masse (à dire en un souffle pour plus d’effets).
Et puis quoi ?
Personnellement, le lendemain, j’ai pris mon déjeuner avec du café au lait de vache et je me suis installée devant mon ordi fabriqué en Chine, prête pour ma journée de travail, comme chaque journée auparavant. Pendant ce temps, le film continuait de cumuler de vues dans le monde et Netflix d’engloutir des profits pharaoniques, un peu trop libres d’impôts.
Après tout, combien d’enthousiastes vont parcourir, par exemple, la plateforme de mobilisation du film ? Combien vont s’intéresser de plus près aux travaux du GIEC et des scientifiques ? Ou agir sur les axes prioritaires de réduction de gaz à effet de serre à l’échelle individuelle, comme l’autosolo et la consommation de viande ? Ou mobiliser autour d’eux pour faire face collectivement à cette menace contre l’humanité ? Concrètement, qu’est-ce que ce film apporte au débat ?
Un outil parmi d’autres
Un marteau peut aussi bien servir à bâtir, qu’à détruire ou à tuer. Don’t look up est une œuvre multicouche, dont la morale dépendra de l’interprétation et des actions collectives qui en découlent. Après une brève discussion avec mon cher Twitterien (qui a l’air de ne pas aimer les « woke », mais vraiment pas du tout), j’ai réalisé combien cette œuvre cinématographique peut être polarisante. Je doute que cela ait échappé à son réalisateur, Adam McKay : cette société ultra-divisée n’était-elle pas un point majeur du film qui fait courir les protagonistes à leur perte, y compris ceux qui savent ?
A y réfléchir, je n’aime pas l’idée d’être confinée dans l’une des deux cases du film. Il faut dire que le camp des « méchants » est dépeint comme une bande d’imbéciles, amateurs et arrivistes au pouvoir, tandis que le camp des « gentils » a droit à un concert (on espère gratuit) d’Ariana Grande qui chante à des fans manifestement déjà tous convaincus d’écouter les *foutus* scientifiques qualifiés (« Listen to the goddamn qualified scientists »). C’est confortable de chanter la même rengaine, mais qu’est-ce que cela change à l’issue du film ?
Évidemment, toute occasion de rappeler l’importance de lutter contre le réchauffement climatique (et sauver la biodiversité) est bonne à prendre. Mais si, au final, ce film met de l’huile sur le feu de la polarisation sociale galopante et des dollars dans les poches de Netflix et d’Hollywood, qu’a-t-on gagné collectivement ? En revanche, il peut aussi ouvrir une porte vers une implication du milieu artistique dans le storytelling climatique, bâtir une route vers une mobilisation #dontlookup et devenir un prétexte de vulgarisation des enjeux environnementaux pour les médias et les scientifiques… et, surtout, illustrer le ridicule de la polarisation d’une société face à une menace existentielle collective.
Finalement, les scénaristes de Don’t look up 2, c’est vous, c’est moi, c’est nous tous et le dialogue qu’on parviendra à construire ensemble.