Contrairement à ce qu’on peut penser, écrire une première chronique d’une année qui débute n’est pas chose facile.
Commençons donc par ce qui l’est le plus : vous remercier, lecteurs et lectrices, qui permettez ce privilège de détenir une tribune publique. Vous êtes encore plus nombreux et nombreuses à me suivre et je vous en suis fortement reconnaissant. J’en profite donc pour vous convier à nouveau sur Twitter ainsi que sur Facebook.
(Mon compte Instagram ne comptant actuellement qu’une photo de barbecue datant de 2012, je vous tiendrai au courant si je le repars un jour).
Optimisme tragique
« Perdre la vie est peu de chose et j’aurai ce courage quand il le faudra. Mais voir se dissiper le sens de cette vie, disparaître notre raison d’existence, voilà ce qui est insupportable. On ne peut vivre sans raison », écrivait Albert Camus dans sa pièce Caligula en 1944. Le 5 janvier dernier marquait d’ailleurs la date-anniversaire de la mort tragique de l’écrivain-philosophe de la révolte devant l’Absurde, ce fossé entre nos espérances les plus profondes et ce que nous renvoie réellement le monde. Décédé à l’âge de 46 ans, il n’aura jamais pu aller au bout de sa pensée qui aura été brutalement interrompue avec la parution posthume de son essai Le premier homme.
Et c’est en lisant cette semaine un article à propos de « l’optimisme tragique », un concept imaginé par le psychiatre et philosophe autrichien Viktor Frankl que je me suis demandé si ce ne serait pas là une extension possible de la pensée camusienne, le chaînon manquant qui relie le monde qu’il a prématurément quitté à celui d’aujourd’hui.
Rien n’est jamais acquis
Si nous devons retenir une seule chose de 2021 ou même de 2020, c’est que rien n’est acquis en ce monde.
Aucun privilège, aucune victoire sociale ou politique, aucun répit inter-bellum, aucun confort que nous procurent la stabilité ou la technologie ne sont éternels.
Nous avons traversé une décennie marquée par l’accélération des changements climatiques, un rapport de force de plus en plus petit face aux puissants de ce monde, une reprise de la Guerre Froide, le retour en force des idéologies mortifères de l’extrême-droite et du spectre de notre propre extinction.
Je dis « nous » – je parle de nous, Occidentaux. Car les populations du Sud Global l’ont compris depuis longtemps à force de vassalisations et de répressions de toutes sortes, que ce soit la conquête de leurs ressources ou l’utilisation de leurs territoires comme laboratoires sociopolitiques et militaires.
Du haut de notre confort, nous nous plaignons de perdre certains privilèges qui tiennent du rêve pour des centaines de millions de gens à travers le monde, qui subissent aussi les conséquences de nos excès.
Je nous méprise quand je vois notre société traiter nos aîné.e.s comme des ressources humaines jetables après utilisation alors que tant de peuples, malgré leur pauvreté matérielle, n’ont jamais dilapidé leur richesse morale comme nous l’avons fait.
Nous sommes collectivement des enfants gâtés – et même une pandémie mondiale n’est pas venue à bout de notre cupidité et de notre obsession avec « le monde d’avant » – un monde de surconsommation en guise de drogues pour effacer la réalité des malheurs du monde.
Nous voyons que rien n’est acquis, mais nous n’en prenons pas acte.
Pour ça, je nous méprise. Et je me solidarise avec cette partie du genre humain mille fois plus résiliente malgré nos agressions et mille fois plus noble de cœur.
Ce que je souhaite pour 2022?
Un éveil moral suffisant pour que ceux et celles qui veulent un « monde d’après » meilleur aient suffisamment de force pour vaincre l’apathie et l’indifférence confortable qui nous afflige et menace la quasi-entièreté de la vie sur Terre. Car comme l’a rappelé Hubert Reeves dans « Mal de Terre », la vie sur Terre continuera après l’extinction de l’Humanité. Étrangement, c’est là que je trouve un brin d’espoir et, de toute manière, je rejette ce nihilisme tout aussi faussement confortable.
Je nous souhaite de nous tourner vers cet optimisme tragique pour trouver un sens à tant d’horreur et en tirer les conclusions qui se doivent. Le 28 décembre dernier, on pouvait lire sur le site du Monde que l’armée israélienne adoucissait ses règles d’engagement face aux civils palestiniens. L’édition de janvier du Monde diplomatique aborde entre autres choses la question de la vente d’armes par la France à la dictature égyptienne et du retour de Daech en Irak et de la tragédie sans fin qui accable Haïti, le tout piloté par les suzerains américain, canadien et français. Julian Assange sera jugé en tant qu’espion aux Etats-Unis pour avoir dévoilé des crimes de guerre commis par l’empire américain et ses sbires en Irak et en Afghanistan dans l’indifférence, voire la jubilation des grands médias qui ont pourtant fait choux gras des révélations de Wikileaks.
Trouver un sens, plutôt que se draper soit dans un déni alimenté par la fuite vers les paradis artificiels que nous procurent la culture de masse et le capitalisme culturel, ou dans un nihilisme qui mène à une apathie dissimulée dans un apparent confort à regarder le monde brûler.
Ici, de mon côté, la lutte se poursuivra, par la force de ma plume et mon amour pour la justice.
Paix, amour et humanité pour 2022 à vous tous et toutes.