Variation de l'indice des prix à la consommation au Québec de septembre 2016 à octobre 2021 | Graphique : IRIS | Montage : Pivot
Analyse

Inflation : les mythes à démonter

Pour démêler le vrai du faux concernant la montée en flèche du coût de la vie, nous avons discuté avec Bertrand Schepper, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

La hausse du coût de la vie est-elle vraiment due aux prestations d’urgence? Doit-on freiner la consommation en haussant les taux d’intérêt? Attention, il s’agit d’idées trompeuses et dangereuses : face à une inflation causée par les déboires du commerce international, il faudrait soutenir les plus vulnérables… et sortir du pétrole.

Le coût de la vie augmente très rapidement actuellement, au Québec comme au Canada. L’Indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 5,3% dans la province entre octobre 2020 et octobre 2021. À l’échelle du pays, la hausse de l’IPC est de 4,7%. En comparaison, avant cette année, cela faisait près de dix ans que l’inflation demeurait sous les 3%.

Le prix de la nourriture, par exemple, a augmenté de près de 4% au Canada cette année, selon le Rapport annuel sur les prix alimentaires. L’an prochain, cette hausse pourrait atteindre 5% à 7%, un record.

La faute aux prestations d’urgence?

Si on en croit certains analystes, la forte inflation serait causée par un meilleur pouvoir d’achat dans la population : l’aide d’urgence durant la pandémie aurait permis aux gens d’augmenter leurs dépenses, raconte-t-on, tandis que la pénurie de main d’œuvre ferait augmenter les salaires, et donc la demande sur le marché.

Mais ce n’est pas vraiment ce qui se produit actuellement, prévient Bertrand Schepper. En temps normal, il n’est pas rare que l’inflation soit liée à la hausse des salaires et de la consommation, mais pas cette fois-ci, insiste-t-il.

« Ce n’est pas la demande qui fait grimper les prix, c’est l’offre qui n’est pas capable de fournir avec la reprise économique. »

La forte hausse des prix s’explique principalement par les contrecoups de la pandémie sur les chaînes de production et d’approvisionnement mondiales, explique le chercheur à l’IRIS, qui vient de publier, avec l’économiste Mathieu Dufour, un billet expliquant les causes de la situation actuelle.

Le prix du pétrole, en particulier, a beaucoup augmenté. C’est que les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) avaient réduit leur production durant la pandémie et ont choisi de la maintenir relativement basse malgré la reprise économique, explique Bertrand Schepper. Or, la hausse du prix du pétrole a un impact majeur sur l’économie, puisqu’elle fait augmenter les coûts pour la fabrication et le transport de nombreux produits.

Qui plus est, le transport international des marchandises a été désorganisé par la pandémie, ce qui fait encore augmenter les coûts pour les biens venus de l’étranger, rappellent les analystes de l’IRIS.

Les dérèglements écologiques sont aussi en cause dans la hausse des prix de certains aliments. En effet, des inondations et des sécheresses ont frappé plusieurs régions du monde, comme le Canada, nuisant gravement à la production céréalière.

Freiner la consommation ou soutenir les plus pauvres?

La stratégie habituelle du gouvernement pour prévenir une trop forte inflation est de hausser le taux directeur de la Banque du Canada, qui est en ce moment au plus bas. Ce taux influence les taux d’intérêt des prêts effectués par les différentes institutions financières. Ainsi, lorsqu’il augmente, il limite la capacité de dépenser des consommateurs et peut donc freiner la demande et l’inflation.

Or, comme l’inflation actuelle n’est pas causée par la demande, cela serait non seulement inefficace, mais même nuisible, écrivent Bertrand Schepper et Mathieu Dufour. « Si le taux directeur augmente, les gens vont devoir payer plus, par exemple pour des prêts hypothécaires, mais il n’y aura pas de baisse des prix à l’épicerie », illustre Bertrand Schepper.

« Cela favoriserait les banques, qui auraient plus de revenus, au détriment de la population, qui verrait ses coûts augmenter encore plus. »

Dans la situation actuelle, « les gouvernements ne peuvent pas faire grand-chose pour empêcher l’inflation, parce qu’ils ne sont pas responsables de la hausse », constate Bertrand Schepper. « Ils doivent plutôt limiter l’impact économique sur les consommateurs, en particulier les plus vulnérables. »

En effet, la forte inflation affecte fortement les personnes les plus démunies, qui ont peu de marge de manœuvre pour s’adapter, rappelle le chercheur. « On se fait dire qu’il faudrait réduire notre consommation pour minimiser l’impact de l’inflation », rapporte Bertrand Schepper. « Mais il y a des gens qui n’ont tout simplement pas la capacité de faire ça » parce qu’elles consacrent déjà presque tous leurs revenus à des besoins de base.

Ainsi, les gouvernements devraient d’abord assurer de meilleurs revenus aux ménages précaires, estime l’IRIS. Une augmentation importante du salaire minimum, par exemple, viendrait directement en aide à des centaines de milliers de personnes. Une coalition d’organismes demande d’ailleurs que le gouvernement du Québec fixe le salaire minimum à 18$ l’heure, jugeant que c’est ce qu’il faut aujourd’hui pour sortir de la pauvreté.

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Monter le salaire minimum ne crée pas de chômage

Les personnes qui ont des revenus fixes, par exemple celles qui vivent de l’aide sociale, sont aussi très vulnérables lorsque le coût de la vie grimpe, souligne Bertrand Schepper. Pour éviter ce genre de situation, il estime que les gouvernements devraient indexer à l’inflation les différentes formes d’aides versées aux gens les moins nantis (aide sociale, régime des rentes, crédit d’impôt pour solidarité, aide financière aux études, etc.).

Sortir du pétrole, produire localement

L’inflation actuelle est surtout liée à la pandémie et à des événements climatiques extrêmes : il s’agit donc de problèmes ponctuels, mais qui peuvent très bien survenir à nouveau. « Les dérèglements écologiques vont affecter de plus en plus l’agriculture et l’économie et cela va favoriser l’inflation », raconte Bertrand Schepper.

Peut-on faire quelque chose pour limiter les conséquences économiques négatives dans l’avenir? Oui : il faut sortir des énergies fossiles, répond le chercheur. Comme le pétrole est la marchandise qui a le plus grand impact sur la hausse générale des prix, il serait possible de prévenir une trop forte inflation en misant sur d’autres sources d’énergie.

« Si on réduit notre dépendance au pétrole, on prévient une bonne partie des conséquences des hausses de prix imposées par les pétrolières. »

Par ailleurs, en favorisant le plus possible la production et la consommation locales, en particulier pour la nourriture, on éviterait une part de l’inflation liée aux difficultés du commerce international. « On ne peut pas tout produire ici tout de suite, mais il faut au moins viser le plus possible la souveraineté alimentaire », insiste Bertrand Schepper. « Plus on favorise l’alimentation et la consommation locales, moins on est à risque de voir la situation se répéter. »

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