Les personnes qui continuent de faire du télétravail lors d’un lock-out ou d’un débrayage doivent être considérées comme des briseurs de grève posant des gestes illégaux. C’est ce qu’indique une récente décision du Tribunal administratif du travail (TAT), dans laquelle le juge invite aussi le gouvernement à moderniser la loi.
Le juge Pierre-Étienne Morand se penchait sur un litige opposant le syndicat Unifor à la cimenterie Ash Grove, du groupe CRH Canada, à Joliette. Le juge a donné raison au syndicat : celui-ci dénonçait le recours de l’employeur à des briseurs de grève, dont une personne en télétravail, alors que les employé.es avaient été mis.es en lock-out.
Le jugement du TAT crée un important précédent parce qu’il étend les dispositions anti-briseurs de grève pour les appliquer aussi au télétravail.
Actuellement, le Code du travail interdit aux employeurs de recourir au travail d’un.e employé.e « dans l’établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré ». Les tribunaux ont souvent interprété cela comme une interdiction de faire travailler des personnes entre les murs du lieu physique où les employé.es remplissent habituellement leurs tâches.
Mais le juge Morand a décrété que la loi devait être comprise de manière large pour interdire aussi le télétravail, puisque cette pratique est devenue extrêmement répandue avec la pandémie. Sans cela, on risquerait tout simplement d’« annihiler le droit de grève » dans le futur, écrit le juge.
C’est aussi l’avis de Renaud Gagné, directeur québécois du syndicat Unifor : « Cette décision est majeure parce qu’avec la situation actuelle, si on avait une interprétation restrictive de ce qui constitue un lieu de travail, il serait aisé pour un employeur d’avoir recours à des briseurs de grève en télétravail. Ça affaiblirait injustement le rapport de force entre les parties dans un conflit de travail », explique-t-il.
Le gouvernement refuse de s’engager à moderniser la loi
Qui plus est, le juge Morand appelle le gouvernement à moderniser le Code du travail pour mieux refléter la nouvelle réalité. Il écrit que « le télétravail, avec toute l’ampleur qu’on lui connait à ce jour, milite pour une actualisation de la notion ‘‘d’établissement’’ » dans la loi, de manière à mieux prévenir le recours à des briseurs de grève travaillant à distance.
Ainsi, mercredi à l’Assemblée nationale, le député de Québec solidaire Alexandre Leduc a déposé une motion demandant au gouvernement Legault de s’engager à mettre à jour le Code du travail. Il était appuyé par tous les partis d’opposition et la plupart des élu.es indépendant.es. Or, le leader parlementaire de la CAQ, Simon Jolin-Barrette, a immédiatement refusé de débattre de cette motion, qui a donc été bloquée.
« Je suis déçu », affirme en entrevue Alexandre Leduc. « Le jugement était une très bonne nouvelle. On aurait aimé le codifier dans la loi pour qu’on aille enfin de l’avant dans ce dossier qui tarde depuis longtemps. »
À ses yeux, le refus de la motion par le gouvernement n’est pas surprenant : « Sur tout ce qui touche le droit du travail, on a vu que la CAQ était toujours beaucoup plus proche des patrons. »
Le député compte toutefois présenter un projet de loi prochainement pour moderniser les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail. Il espère cette fois obtenir la collaboration du ministre du Travail Jean Boulet.